Faire de l'histoire, est-ce le passé ?
Extrait du document
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Introduction
L'histoire, telle que nous la connaissons aujourd'hui, ne s'institue pas en juge du passé.
Elle cherche seulement à
l'établir, à l'expliquer.
En tant que savoir, elle vise la vérité, la connaissance de ce qui a été ; elle ne prescrit aucune
norme et ne se soumet à aucun système de valeurs au nom desquelles elle discernerait le bien et le mal,
condamnerait les uns ou louerait les autres.
S'il est manifeste que l'histoire affiche un souci d'objectivité, on peut se
demander si elle parvient vraiment à se libérer de tout jugement de valeur.
Quels seraient alors ces jugements
axiologiques qui soutiendraient nécessairement, de manière consciente ou non, la démarche de l'historien ?
1.
L'histoire, juge du passé
Montrons pour commencer en quoi la pratique de l'historien peut impliquer des jugements de valeur.
On peut
distinguer l'approche qui, dans la trame des événements historiques, valorise certains éléments et en déprécie
d'autres, de la démarche qui repose sur une évaluation globale du passé.
A.
Une valorisation sélective du passé
a) Fonction morale de l'histoire
L'histoire assumait dans l'Antiquité la vocation morale d'honorer les faits glorieux du passé, d'inscrire dans la mémoire
d'un peuple les moments de bravoure de ses ancêtres.
Nul besoin d'historiens pour se convaincre des bassesses,
des lâchetés et des atrocités dont les hommes sont capables : l'expérience en témoigne régulièrement.
En
revanche, les attitudes nobles sont plus rares et le souvenir de l'héroïsme des hommes d'hier peut renforcer le
courage des générations d'aujourd'hui.
Hérodote et Thucydide, considérés comme les précurseurs de l'histoire
moderne, menaient dans cet esprit d'édification morale leur « enquête » (historia veut dire en grec « enquête ») :
certains faits du passé doivent servir d'exemple.
Cette dimension normative de l'histoire n'a jamais complètement disparu.
On la retrouve dans toutes les biographies
flatteuses (hagiographies) ou dans les histoires officielles par lesquelles un régime politique réécrit le passé pour
justifier son pouvoir.
Cette conception très partiale de l'histoire est cependant devenue très étrangère aux
historiens d'aujourd'hui qui ne cherchent plus à se servir de leur connaissance du passé pour faire la leçon aux
hommes du présent.
Pourtant, à son insu, l'histoire contemporaine n'est-elle pas elle aussi étroitement liée à une
perspective morale ?
b) Partialité de l'histoire contemporaine
Il est vrai que dans le choix qu'ils font du domaine du passé qu'ils étudient, les historiens peuvent facilement être
encore tributaires des jugements de valeur dont est porteuse la mémoire collective de leur société.
C'est ainsi qu'en
France, après la dernière guerre, on a plus souvent fait l'histoire de la Libération ou de la Résistance que de la
France collaboratrice de Vichy.
Les premières études concernant cette période, vers les années soixante-dix, ont
été le fait d'historiens américains (Paxton par exemple).
En dépit de leurs efforts d'objectivité, les historiens ne
peuvent sans doute pas totalement s'affranchir des valeurs de leur temps, de l'image que le peuple auquel ils
appartiennent se fait de lui-même.
Et quand ils s'attaquent précisément aux époques du passé laissées sous silence,
c'est souvent encore dans le but de dénoncer les erreurs et les illusions des historiens précédents et d'ébranler par
là le narcissisme d'un peuple trop conciliant avec lui-même.
Les historiens d'aujourd'hui sont donc eux aussi,
différemment de ceux d'hier, tributaires de jugements de valeur.
Mais c'est plutôt dans le rapport que l'historien entretient avec le passé en général que l'on peut peut-être
découvrir les véritables jugements de valeur qui orientent sa démarche.
B.
Une évaluation générale du passé
a) L'idéalisation du passé
Faire de l'histoire, c'est se tourner vers le passé.
Mais qu'est-ce qui peut pousser à se détourner ainsi du présent ?
N'est-ce pas une fuite devant les exigences de ce présent ? Il se pourrait que la pratique de l'histoire soit solidaire
d'une nostalgie du passé, d'un passé que l'on valorise en tant que passé parce qu'il n'est plus et que, devant être
reconstruit et imaginé, il se prête mieux à nos désirs que la réalité à laquelle nous sommes chaque jour confrontés.
Les temps anciens ont souvent plus
de prestige que la morne actualité ; les romantiques ont exalté cette poésie des ruines.
C'est d'ailleurs souvent
quand le présent ressemble au passé qu'il s'étoffe et revêt de l'importance aux yeux de ses contemporains.
Ainsi, les
révolutionnaires de 1789 n'ont-ils pu accomplir leur tâche historique qu'en se donnant l'illusion de renouer avec le
passé glorieux de la République romaine, considérée par eux comme l'âge d'or du politique.
b) La dévalorisation du passé
Au contraire, la croyance en l'idée d'un progrès historique a pour effet de dévaloriser le passé par rapport au
présent.
Quand les philosophes des Lumières (Voltaire, Condorcet, Kant...) écrivent l'histoire, ils y voient la marche
assurée d'une société humaine de plus en plus civilisée, dont les moeurs et les institutions politiques sont de plus en
plus raisonnables.
Leur époque, le xviiie siècle, est considérée comme la sortie des ténèbres du Moyen Âge, la fin de
la barbarie que représentait encore l'ordre féodal fondé sur des valeurs religieuses et guerrières.
L'idée même de
progrès implique logiquement la thèse d'une nécessaire supériorité du présent sur le passé.
La connaissance
historique n'est alors qu'un faire-valoir de la modernité, une vaste justification du présent..
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