Expliquez et appréciez cette pensée de Marcel Proust : « Une personne est une ombre où nous ne pouvons jamais pénétrer, pour laquelle il n'existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons des croyances nombreuses à l'aide de paroles
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Expliquez et appréciez cette pensée de Marcel Proust : « Une personne est une ombre où nous ne pouvons
jamais pénétrer, pour laquelle il n'existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons
des croyances nombreuses à l'aide de paroles et d'actions, lesquelles les unes et les autres ne nous
donnent que des renseignements insuffisants et d'ailleurs contradictoires ».
INTRODUCTION
Remarquer que d'une part nous nous vantons toujours de bien connaître nos semblables, mais que d'autre part nous
sommes généralement incapables de prévoir leur conduite.
Même ceux que nous croyons le mieux connaître ont
souvent des réactions qui nous surprennent.
Souvent nous nous sentons impuissants à comprendre autrui (« il me
cache quelque chose ») ou à nous faire comprendre de lui (« il ne veut pas comprendre »).
Nous voudrions savoir ce
que l'autre a « derrière la tête » ou « au fond du coeur », aussi bien pour agir sur lui que pour nous confier à lui ;
par exemple je voudrais être sûr de celui en qui je place mon amitié.
Mais c'est impossible ; autrui est comme une
forteresse impénétrable et toute relation humaine est une aventure.
C'est ce que remarque Marcel Proust, quand il
dit : etc.
I.
COMMENTAIRE
— A — La personne est une ombre ; pas de connaissance directe.
L'idée d'ombre évoque l'idée d'une chose à
peine réelle, insaisissable, mouvante.
On peut se demander, en effet, si l'idée de personne correspond à quelque
réalité bien définie, si l'unité qu'elle implique n'est pas une unité purement nominale, couvrant une multiplicité
d'éléments hétérogènes (« Le moi, dit Valéry, n'est peut-être qu'une notation commode »).
D'autre part, l'homme vit
dans le temps et, comme l'ombre, il change sans cesse.
Si nous voulions en avoir une connaissance véritable, il
faudrait découvrir en lui un aspect intemporel, substantiel (la substance étant ce qui demeure identique à travers le
changement).
Mais rien de tel ne nous est donné ; nous n'avons aucune connaissance directe de cette réalité qui
constituerait le fond de la personne.
Qu'est-ce donc qui nous est donné ?
— B — Des paroles et des actions à l'aide desquelles nous nous faisons des croyances nombreuses.
L'essentiel de notre connaissance d'autrui repose sur l'interprétation de ce qu'il dit et fait.
Nous croyons qu'un tel
est méchant parce que nous l'avons vu agir méchamment ou entendu tenir des propos méchants.
Dans les
biographies, qui ont pour objet de nous faire connaître une personne, on ne trouve guère que discours et actions.
Mais à chaque geste, à chaque mot nous attribuons une signification et l'ensemble de ces significations constitue
l'idée que nous nous faisons de la personne.
Proust parle ici de « croyances » parce que l'interprétation des signes
est très subjective : je crois que mon voisin est charitable parce que je l'ai vu faire l'aumône et entendu plaindre les
malheureux ; mais un autre pourra croire qu'il est hypocrite et cherche à éviter la mauvaise conscience du riche en
donnant quelques sous et en prononçant de bonnes paroles.
La difficulté vient ici de ce que, au fond, nous voulons
connaître les intentions d'autrui et non ses actions seulement.
C'est « l'âme » de l'homme qui nous intéresse et c'est
elle que nous cherchons par delà et à travers les actions et les paroles.
Mais cela est difficile parce que :
— C — Paroles et actions ne nous donnent que des renseignements insuffisants et d'ailleurs
contradictoires.
Renseignements insuffisants parce que l'être ne se montre pas tout entier : je puis dire ce que je
ne pense pas et ne pas dire ce que je pense.
« L'arrière-boutique », en laquelle Montaigne voulait que nous
établissions « notre principale retraite et solitude », n'est révélée ni par nos discours ni par nos actions.
De même le
mépris de Pascal pour le duc qu'il salue (« parce que vous êtes duc il est nécessaire que je vous salue, il n'est pas
nécessaire que je vous estime ») n'apparaît pas dans son salut.
Ces renseignements que nous pouvons tirer de
l'observation d'autrui nous suffisent d'autant moins qu'ils sont souvent contradictoires.
Tout d'abord il peut y avoir
contradiction entre les paroles et les actes.
Bergeret, après avoir donné deux sous au mendiant Clopinel, explique à
sa fille qu'il est immoral de faire l'aumône (Anatole France, Histoire contemporaine) ; celui qui le verrait sans
l'entendre penserait que Bergeret est un homme charitable, celui qui l'entendrait sans le voir le jugerait cruel.
Toutefois, le sens commun, en pareil cas, prétend qu'il faut juger d'après les actes et non d'après les paroles, et il a
sans doute raison.
Mais il arrive qu'il y ait contradiction dans les actes eux-mêmes.
Le même homme peut se
montrer tour à tour égoïste et généreux, courageux et lâche.
Comment retrouver une personne unique sous la
multiplicité des personnages joués ? La connaissance d'autrui reste donc très superficielle et douteuse.
Peut-être
est-ce simplement une illusion qui nous fait croire que nous connaissons et faut-il dire avec un écrivain
contemporain : « On ne connaît jamais un être, mais on cesse parfois de sentir qu'on l'ignore » (Malraux, La
condition humaine)..
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