Expliquer ce mot de Schopenhauer : « Le devoir, c'est ce qui est contraire à la nature. »
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Expliquer ce mot de Schopenhauer : « Le devoir, c'est ce qui est
contraire à la nature ».
La vie morale constitue un ordre de choses supérieur à la nature, et comme
un quatrième règne au-dessus des trois autres.
La nature est étrangère, indifférente à la moralité.
Elle suit ses lois, qui sont
fatales ; elle est gouvernée par un mécanisme inconscient ; dans l'ordre
cosmique, bien et mal sont des termes dépourvus de sens.
Écoutons la nature
parler par la bouche du poète :
Elle me dit : « Je suis l'impassible théâtre Que ne peut remuer le pied de ses
acteurs;
Mes marches d'émeraude et mes parois d'albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine Je sens passer sur moi la
comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.
Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A côté des fourmis les
populations; Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre; J'ignore, en les
portant, les noms des nations.
On me dit une mère, et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe.
Mon printemps ne sent pas vos adorations.
(A.
de VIGNY, La maison du berger.)
Telle est la nature extérieure.
Quant à ce que, dans l'homme, on appelle nature, c'est l'ensemble des instincts et
impulsions qui accompagnent et souvent sollicitent les fonctions de la vie végétative et animale.
Non seulement ces
tendances et actes sont indifférents à la morale, mais ils lui sont fréquemment contraires.
Le « cri de la nature »
réclame impérieusement la satisfaction intégrale
de tous nos besoins.
Le cri de la nature, c'est l'appel à la jouissance physique ; c'est aussi la voix de l'égoïsme ;
l'écouter, lui obéir, c'est faire triompher en nous la « bête humaine ».
Et cette pratique a eu cependant ses théoriciens ; on a préconisé la vie « selon la nature », les instincts et les
impulsions de la « bonne nature » .
On a opposé cette vie à celle que recommandent comme seule bonne les
enseignements des philosophes et les préceptes des religions morales.
La vie morale, selon les philosophes, on l'a
qualifiée d'artificielle, de fausse, de contre-nature.
Avec un optimisme trop confiant on a dit et répété que cela seul
est bon qui est conforme à l'ordre dont nous voyons autour de nous le spectacle, et que toute règle de conduite
humaine doit se résumer en cette formule : le libre épanouissement des forces et des facultés que la nature nous a
données.
Au nombre des partisans notoires de cette doctrine, il faut citer Rabelais et Molière.
Rabelais n'a jamais
attaqué de principe ou de règle de vie avec plus de violence que celle qu'il personnifie sous le nom d'Antiphysis
(contre nature).
Auteur de toutes les contraintes, complice de toutes les réactions, conseillère de pratiques
funestes, cause de souffrances, de déformation physique et mentale, Antiphysis est chargée de tous les crimes.
Et
Rabelais lui oppose la libre vie naturelle, celle que l'on mène en l'abbaye qui est son utopie, la plantureuse Thélème,
dont l'enseigne est : « Fais ce que voudras ».
De même Molière, rabelaisien d'inspiration en ce point : Tartufe entier
peut-être considéré comme un plaidoyer en faveur de cette conception de la vie.
Les idées qui précèdent ne sont pas une dissertation ; elles serviront simplement de guide pour en faire une.
C'est à
ce titre qu'on les propose ici aux réflexions du lecteur, en vue de lui faire bien comprendre la pensée de
Schopenhauer — et en l'avertissant qu'il ne faut pas toutefois en exagérer la rigueur..
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