Explication de texte : Heidegger, Acheminement vers la parole
Publié le 04/04/2022
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Explication de texte : Heidegger, Acheminement vers la parole
Le Mot
Das Wort
Prodige du lointain ou songe
Wunder von ferne oder traum
Je le portais à la lisière de mon pays
Bracht ich an meines land saum
Et attendais jusqu'à ce que l'antique Norne
Und harrte bis die graue norn
Le nom trouvât au cœur de ses fonts Den namen fand in ihrem born
Là-dessus je pouvais le saisir dense et fort
Drauf konnt ichs greifen dicht und stark
A présent il fleurit et rayonne par toute la Marche...
Nun blüht und glänzt es durch die mark
Un jour j'arrivai après un bon voyage
Einst langt ich an nach guter fahrt
Avec un joyau riche et tendre
Mit einem kleinod reich und zart
Elle chercha longtemps et me fît savoir :
Sie suchte lang und gab mir kund :
« Tel ne sommeille rien au fond de l'eau profonde» « So schläft hier nichts auf tiefem grund »
Sur quoi il s'échappa de mes doigts
Worauf es meiner hand entrann
Et jamais mon pays ne gagna le trésor...
Und nie mein land den schatz gewann
Ainsi appris je, triste, le résignement:
So lernt ich traurig den verzicht :
Aucune chose ne soit, là où le mot faillit.
Kein ding sei wo das wort gebricht
Stefan Georg, 1919.
D'après ce qui a été remarqué plus haut, nous sommes tentés de nous en tenir au
dernier vers du poème : « Aucune chose ne soit, là où le mot faillit ».
Car c'est lui qui amène
le mot de la parole, et celle-ci elle-même, en propres termes, à prendre la parole; il dit
quelque chose à propos du rapport entre mot et chose.
Le contenu du vers final peut être
transformé en un énoncé qui dirait : Aucune chose n'est, là où le mot faillit.
Où quelque
chose faillit, il y a une faille, une rupture, une lésion.
Léser quelque chose, c'est lui retirer du
sien, lui faire manquer de quelque partie.
Il faillit, cela veut dire : il manque.
Aucune chose
n'est où manque le mot - à savoir le mot qui, chaque fois, nomme la chose.
Que veut dire «
nommer »? Nous ne sommes pas en peine de répondre : nommer, c'est pourvoir quelque
chose d'un nom.
Et qu'est-ce qu'un nom? C'est la désignation qui nantit une chose d'un
signe phonétique ou graphique, d'un chiffre.
Et qu'est-ce qu'un signe? Est-ce un signal? Ou
un insigne? Une marque? Ou bien ce qui fait signe (ein Wink)? Ou alors tout cela ensemble
et encore autre chose? Nous sommes devenus extrêmement laxistes dans la
compréhension des signes, ne les comprenant plus qu'à partir de l'opératoire d'un calcul.
Le
nom, le mot est-il un signe (ein Zeichen)? Tout dépend de la manière dont nous pensons ce
que disent les mots « signe » et « nom » […]
Nous avons pris le risque d'une transcription : Aucune chose n'est, là où manque le
mot.
« Chose » est ici compris au sens traditionnel et global, par lequel on entend quelque
chose en général, c'est-à-dire n'importe quoi pourvu que cela soit d'une manière ou d'une
autre.
En ce sens, même un Dieu est une chose.
Seulement là où est trouvé le mot pour la
chose, seulement là cette chose est une chose.
Ce n’est qu'ainsi qu'elle est.
En
conséquence, nous devons souligner : Aucune chose n'est, là où le mot, c'est-à-dire le nom,
fait défaut.
Le mot seul confère l'être à la chose.
Heidegger, Acheminement vers la parole.
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