Explication de texte de philosophie – Rousseau, Du contrat social, IV, VIII, « La religion civile »
Publié le 05/02/2024
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Explication de texte de philosophie – Rousseau, Du contrat social, IV, VIII, « La religion civile »
Correction
Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions
importent à la communauté.
Or il importe bien à l’Etat que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse
aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’Etat ni ses membres qu’autant
que ces dogmes se rapportent à la morale, et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir
envers autrui.
Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu’il lui plaît, sans qu’il appartienne au
souverain d’en connaître.
Car comme il n’a point de compétence dans l’autre monde, quel que soit le
sort des sujets dans la vie à venir ce n’est pas son affaire, pourvu qu’ils soient bons citoyens dans celle-ci.
Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles,
non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il
est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle.
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Livre IV, chap.
VIII.
Thème : rapports Etat/religion
Question : Quels sont les rapports qui doit entretenir l’Etat avec la religion de ses membres ?
Thèse : Selon Rousseau, l’Etat ne doit pas intervenir au-delà des questions strictement morales et civiques
concernant les opinions des citoyens car rien ne légitime que le souverain limite la liberté de conscience des
individus tant que leurs opinions ne menacent pas la paix civile.
Dans le but d’assurer sa pérennité, l’Etat doit
mettre en place une religion civile qui favorise le respect de principes moraux et des devoirs d’Etat.
Plan :
1/ les limites de l’Etat en matière de religion (l.
1 à 5)
2/ La défense de la liberté religieuse pour les citoyens (l.
5 à 8)
3/ Ce qui peut être une religion contrôlée par l’Etat : le concept de religion civile
Enjeux : L’Etat peut-il légitiment tenter de contrôler les opinions de ses membres ?
*
*
*
Le texte de Rousseau commence par une affirmation d’après laquelle les sujets du souverain n’ont pas à
devoir compte, c’est-à-dire à fournir la raison de toutes leurs opinions au souverain.
Le « souverain » (l.
1) désigne
ici la ou les personnes qui gouvernent et qui ont du pouvoir, les détenteurs de l’autorité politique.
Il ne s’agit pas
d’un monarque au pouvoir absolu, mais bien d’une personne ou d’un ensemble de personnes soumis/es à des
obligations à l’égard des citoyens, dont celle de respecter la liberté d’opinion des sujets.
En effet, les sujets
doivent bénéficier d’une liberté d’opinion sur laquelle l’Etat ne peut pas empiéter.
Aussi Rousseau défend-il l’idée
d’une limitation stricte du champ d’action du souverain : celui-ci ne doit pas s’occuper des opinions de ses sujets,
et ne doit donc pas s’immiscer dans le domaine des croyances religieuses.
Mais n’est-il pas dangereux pour l’Etat
de laisser libre cours aux opinions des sujets ? Par définition une opinion est un jugement qui n’est pas vrai et qui
peut ne pas être motivé par un souci de vérité.
Aussi l’opinion puise-t-elle bien souvent à la source de la
persuasion et de la crédulité.
N’y a-t-il pas un risque à laisser les individus libres de leurs opinions ? Selon l’opinion
du fanatique, par exemple, la mort des hérétiques est un devoir qu’il se doit de mener au nom de Dieu.
Comment
un Etat pourrait-il être indifférent à des opinions qui risquent de mettre en péril la communauté ? Selon
Rousseau, l’Etat ne doit pas être indifférent aux opinions de ses membres.
En effet certaines opinions « importent
à la communauté » (l.
2).
En quel sens ces opinions importent-elles ?
Explication de texte de philosophie – Rousseau, Du contrat social, IV, VIII, « La religion civile »
Correction
L’auteur répond : « il importe bien à l’Etat que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses
devoirs » (l.
2-3).
En quel sens la religion favorise-t-elle le respect et l’amour des devoirs civiques ? Premièrement,
toutes les religions sont sources d’obligations morales auxquelles les croyants obéissent d’autant plus volontiers
que pèse sur eux la menace du châtiment divin.
Pensons à l’origine étymologique du mot religion : en tant que le
croyant « recueille » (religere) la parole divine à laquelle il doit se soumettre, la religion assure le fondement de la
morale.
En effet, celle-ci n’a pas besoin d’autre justification que la volonté divine.
Les commandements divins ne
se discutent pas, ils s’appliquent.
Deuxièmement, la religion assure la cohésion du corps social autour de
croyances partagées.
Ici, c’est une autre étymologie possible qu’il faut invoquer : la religion est ce qui « relie »
(religare) les hommes entre eux autour de valeurs communes.
Mais nous pouvons également penser à d’autres
raisons qui expliquent l’importance de la religion dans le respect des devoirs civiques.
En effet, dans une période
où les Etats sont souvent en guerre, comment compter sur le consentement d’un athée au sacrifice de sa vie en
cas de menace ? Seule la foi en l’immortalité de l’âme donne au citoyen le courage de remplir ses devoirs en
combattant l’ennemi avec hargne au péril de sa vie.
Enfin, peut-on compter sur la moralité d’un individu qui ne
craint pas d’être châtié pour ses vices ? On comprend donc que l’Etat ait besoin de citoyens fidèles à leurs valeurs
religieuses.
Cependant, comment peut-on concilier la liberté d’opinion et la nécessité, pour l’Etat, d’avoir des citoyens
charitables et prêts à se sacrifier pour la communauté ? N’est-ce pas contradictoire ? Si on accepte que les
citoyens soient libres d’avoir les opinions qu’ils désirent, comment peut-on en même temps souhaiter qu’ils
aiment leurs devoirs ? Rousseau établit une séparation entre les opinions qui importent à l’Etat et celle qui
n’importent pas à l’Etat.
Si certaines opinions risquent de nuire au respect des devoirs d’Etat, il va de soi que le
souverain doit s’en soucier et qu’il est tout à fait fondé à se mêler des opinions de ses sujets.
Par exemple, si une
religion considère que ses règles doivent primer sur les devoirs civiques, la menace que cette religion fait peser
sur le respect des lois et, partant, sur la paix civile justifie l’intervention de l’Etat.
Mais en toute logique, l’Etat ne
peut exiger de ses membres qu’ils aiment leurs devoirs sans leur ôter leur liberté d’opinion.
Nous constatons donc
ici que la limite qui sépare le public et le privé est très floue puisque ce n’est pas seulement les actes des citoyens
qui importent à l’Etat mais leurs sentiments vis-à-vis de l’Etat, qui doit être non seulement objet de respect, mais
d’amour.
Dès lors, comment distinguer l’opinion dangereuse de l’opinion inoffensive ? Puisque les religions confèrent
une plus grande importance à la vie après la mort qu’à la vie ici-bas, ne doit-on pas considérer que les croyants
risquent de ne pas aimer suffisamment l’Etat pour lui accorder toute la détermination nécessaire à l’occasion
d’une guerre ? Et n’est-il pas dangereux d’accepter des religions dont les adeptes sont incapables de considérer
les étrangers comme des ennemis et de préférer l’amour du devoir à celui du prochain ? Où situer la limite entre
les croyances dangereuses et celles qui ne font courir aucun risque à l’Etat ?
*
La réponse à cette question se trouve dans la seconde partie du texte, où se précise le domaine propre du
souverain.
Les membres de l’Etat, écrit Rousseau, peuvent avoir « au surplus » les opinions qu’ils veulent, c’est-àdire que le contenu des religions n’est pas mis en cause par le souverain.
A la lecture du texte, il semble que
l’important soit la primauté de la loi sur les dogmes religieux.
Peu importe le contenu de ces dogmes, pourvu
qu’ils ne conduisent pas les croyants à contrevenir aux ordonnances du souverain.
La séparation semblait floue
entre les opinions dont le souverain doit se soucier et celles dont il ne doit pas se soucier, mais voilà qu’elle se
précise : tant que la hiérarchie est en faveur du politique, tant que les opinions des individus ne menacent pas les
valeurs morales et les devoirs des citoyens, alors le souverain n’a pas le droit d’exiger des individus qu’ils justifient
leurs croyances.
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Correction
Quelle est la justification d’une telle séparation entre le politique et....
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