Explication de Mill Liberté et individualité John Stuart Mill (1806-1873) De la liberté (1859)
Publié le 21/05/2023
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Explication de Mill
Liberté et individualité
John Stuart Mill (1806-1873)
De la liberté (1859)
Texte 1 :
« Penser qu’il ne faut pas encourager le développement de l’individualité en matière de
désirs et d’impulsions, c’est soutenir que la société n’a nul besoin de natures fortes -qu’elle ne
s’en trouve pas mieux pour contenir un grand nombre de personnes de caractère- et qu’il n’est
pas souhaitable de voir la moyenne des hommes posséder trop d’énergie.
Dans les sociétés naissantes, ces énergies étaient peut-être trop développées, et la société
n’avait pas le pouvoir de les discipliner et contrôler.
C’était un temps où l’élément de
spontanéité dominait à l’excès, et où le principe social avait à lui livrer de rudes combats.
La
difficulté était alors d’amener les hommes puissants de corps ou d’esprit à obéir à des règles
qui prétendaient contrôler leurs impulsions.
Pour vaincre cette difficulté, la loi et la discipline
(…) proclamèrent leur pouvoir sur l’homme tout entier, revendiquant le droit de contrôler sa
vie tout entière, afin de pouvoir contrôler aussi son caractère, que la société n’était pas parvenue
à contenir jusque-là.
Mais aujourd’hui, alors que la société a largement raison de l’individu, le
danger qui guette la nature humaine n’est plus l’excès, mais la déficience des impulsions et des
inclinations.
Les choses ont bien changé depuis que les passions des puissants, forts de leur
position ou de leurs talents personnels, étaient en rébellion constante contre les lois et les
règlements et devaient être étroitement bridées pour que leur voisinage pût jouir de quelque
sécurité.
A notre époque, de la classe la plus haute à la plus basse, tout le monde vit sous le
regard d’une censure hostile et redoutée.
Non seulement en ce qui concerne les autres, mais en
ce qui ne concerne qu’eux-mêmes, jamais les individus et les familles ne se demandent :
« Qu’est-ce que je préfère ? Qu’est ce qui conviendrait à mon caractère et à mes dispositions ?
Qu’est-ce qui permettrait à ce qu’il y a de plus élevé et de meilleur en moi d’avoir libre jeu, de
se développer et de prospérer ? » Mais, au contraire, ils se demandent : « Qu’est-ce qui convient
à ma situation ? » ou « Que font ordinairement les personnes de ma position ou de ma
fortune ? » ou pire encore : « Que font ordinairement les personnes d’une position et d’une
fortune supérieures à la mienne ? » Je ne veux pas dire qu’ils préfèrent l’usage à leurs
inclinations, car jamais il ne leur vient à l’idée qu’ils puissent avoir d’aspirations autres que la
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Isabelle Krier,
Professeure de philosophie au lycée voltaire
coutume.
Ainsi l’esprit lui-même plie sous le joug, et même dans ce que les gens font pour leur
plaisir, leur première pensée va à la conformité : ils aiment en masse ; ils ne portent leur choix
que sur les choses qu’on fait en général ; ils évitent comme un crime toute singularité de goût,
toute excentricité de conduite, si bien qu’à force de ne pas suivre leur naturel, ils n’ont plus de
naturel à suivre.
Leurs capacités humaines sont atrophiées et inertes ; ils deviennent quasiment
incapables du moindre désir vif, du moindre plaisir spontané ; ils n’ont généralement ni
opinions ni sentiments de leur cru, ou vraiment leurs.
Maintenant, est-ce là la condition idéale
de la nature humaine ? »
Texte 2 :
« Le seul fait de vivre en société impose à chacun une certaine ligne de conduite envers autrui.
Cette conduite consiste, premièrement, à ne pas nuire aux intérêts d’autrui, ou plutôt à certains
de ces intérêts qui, soit par disposition expresse légale, soit par accord tacite, doivent être
considérés comme des droits ; deuxièmement, à assumer sa propre part (à fixer selon un
principe équitable) de travail et de sacrifices nécessaires pour défendre la société ou ses
membres contre les préjudices et les vexations.
Mais ce n’est pas là tout ce que la société peut
faire.
Les actes d’un individu peuvent être nuisibles aux autres, ou ne pas suffisamment prendre
en compte leur bien-être, sans pour autant violer aucun de leurs droits constitués.
Le coupable
peut alors être justement puni par l’opinion, mais non par la loi.
(…) Mais cette question n’a
pas lieu d’être tant que la conduite de quelqu’un n’affecte que ses propres intérêts, ou tant
qu’elle n’affecte les autres que s’ils le veulent bien, si tant est que les personnes concernées
sont adultes et en possession de toutes leurs facultés.
Dans tous les cas, on devrait avoir liberté
complète-légale et sociale- d’entreprendre n’importe quelle action et d’en supporter les
conséquences.
(…) Les hommes doivent s’aider les uns les autres à distinguer le meilleur du
pire, et s’encourager à préférer l’un et à éviter l’autre.
Ils ne devraient avoir de cesse que de se
stimuler mutuellement à exercer leurs plus nobles facultés et à orienter davantage leurs
sentiments et leurs desseins vers la sagesse, et non la folie, vers des objets de contemplation
édifiants et non dégradants.
Mais personne n’est autorisé à dire à un homme d’âge mûr que,
dans son intérêt, il ne doit pas faire de sa vie ce qu’il a choisi d’en faire.
Il est celui que son
bien-être préoccupe le plus : l’intérêt que peut y prendre un étranger est insignifiant – à moins
d’un attachement personnel- comparé au sien même.
»
Explication
Texte 1 :
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Isabelle Krier,
Professeure de philosophie au lycée voltaire
Comment promouvoir la liberté individuelle quand on érige l’intérêt collectif en valeur
fondamentale ? La défense du développement libre de l’individu selon ses désirs et ses choix
constitue-t-elle une menace pour l’ordre et l’harmonie de la société ? Mill apparaît comme un
des philosophes important du libéralisme, mais avec lui le libéralisme prend une tournure
particulière.
Il ne se limite plus à la défense des droits politiques fondamentaux ou de la
propriété privée.
Il s’associe à la notion d’individualité.
Cette notion implique une construction
ou une progression de la personne humaine dans la durée ou au travers d’une histoire.
La notion
d’individualité est ainsi le plus justement traduite par celle de développement.
De la liberté est
un texte dont le projet est muri dès 1854 et qui paraît en 1859.
Dans ses Mémoires, Mill résume
le thème principal de son livre De la liberté de la façon suivante : « L’importance pour
l’homme et pour la société d’une ample variété de types de caractères et l’importance de donner
pleine liberté à la nature humaine pour qu’elle se développe elle-même dans des directions
innombrables et différentes ».
La thèse de Mill dans l’ouvrage De la liberté peut être formulée ainsi : La liberté comme
développement autonome de soi doit être reconnue comme un droit fondamental.
L’Etat
démocratique doit favoriser le développement des capacités humaines et des individualités.
Cette liberté comme droit au développement de soi n’est pas seulement primordiale pour
l’homme, elle est aussi essentielle au progrès de la société et de l’histoire et même de l’humanité
dans son ensemble.
L’argumentation de Mill se compose de quatre moments principaux.
En un
1er moment, Mill propose une réduction par l’absurde de l’opinion majoritaire selon laquelle le
développement de l’individualité constituerait une menace pour le bien commun de la société
et sa cohésion (jusqu’à la ligne 4 « énergie »).
Pour consolider la récusation de cette idée
politique dominante, il établit une distinction entre les sociétés naissantes où un certain contrôle
d’individualités fortes pouvait encore paraître justifié, afin d’instaurer les 1ères communautés
politiques, et les sociétés modernes démocratiques, voire post-démocratiques où une telle
répression ne paraît plus fondée (De la ligne 5 « Dans les sociétés naissantes » à la ligne 16
« sécurité »).
Enfin, Mill analyse les causes modernes de l’affaiblissement des individualités,
dans lesquelles il décèle le risque d’une extinction de vitalité et de progression non seulement
pour les nations contemporaines, mais de manière plus large pour la condition de la nature
humaine en général.
1er moment :
En un 1er temps, Mill examine la thèse des théoriciens politiques diffusée aussi dans
l’opinion publique qui consiste à admettre que l’affirmation et l’épanouissement
d’individualités fortes dans une société peut contribuer à sa fragilisation, voire à sa dissolution.
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Isabelle Krier,
Professeure de philosophie au lycée voltaire
En évoquant cette idée dès le départ, il est probable que Mill se réfère à l’opposition
traditionnelle entre intérêt privé et intérêt commun approuvée par de nombreux philosophes
politiques depuis l’Antiquité.
Alors que l’intérêt commun ou public est conçu comme un bien,
l’intérêt privé est le plus souvent représenté de manière négative.
On peut songer par exemple
à la classification des régimes politiques et à leur caractère juste ou injuste, selon l’objectif privé
ou collectif que se donnent ses gouvernants chez Platon et Aristote.
Les individus, qui mettent
en avant leurs intérêts privés, risquent de se détourner du bien public et de nuire à la
communauté politique.
Mill, dès ces premières lignes, insiste sur le lien qu’il est possible....
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