Etude d'une valeur: le beau
Extrait du document
«
I.
On peut dire qu'il y a une vérité de toutes les valeurs authentiques.
Mais cela ne veut pas dire que la valeur
esthétique (le beau) ou la valeur éthique (le bien) soient réductibles à la valeur de vérité.
En fait chaque valeur est
dans son domaine originale et irréductible.
Nous pouvons mettre en lumière l'irréductibilité d'une des valeurs
fondamentales : le beau.
II.
La beauté dont il est question ici est celle de l'art (beauté esthétique), non celle de la nature.
La beauté
naturelle est en général l'adaptation d'une forme à une fonction (un beau cheval est celui dont les membres à la fois
minces et puissants, dont les formes souples suggèrent le plus aisément la rapidité de la course).
L'art prend parfois
pour objet la beauté naturelle (sculpture classique), mais pas toujours.
Le pied bot de Ribera.
les pouilleux de
Murillo, les tabagies des Peintres hollandais sont artistiquement beaux.
Et pourtant, des infirmes qui mendient, une
salle enfumée peuvent n'avoir aucune beauté naturelle (ou du moins nous ne leur prêtons une sorte de beauté qu'à
partir de notre culture artistique : nous disons de ce mendiant rencontré sur le parvis d'une église qu'il est « beau
comme un Murillo »).
Il faut donc distinguer, comme le dit Kant, la belle représentation d'une chose avec la
représentation d'une chose belle.
III.
Kant, dans sa Critique du jugement, a souligné en quelques formules décisives l'irréductibilité de la valeur
beauté.
« Le beau est l'objet d'un jugement de goût désintéressé.
» Cette formule nous invite à distinguer l'émotion
esthétique de la sensualité naturelle.
La « nature morte » qui donne envie de manger, le « nu » qui réveille le désir
sexuel, perdent leur qualité d'oeuvre d'art.
Bien loin de servir d'aliments hallucinatoires à nos désirs charnels, les
oeuvres d'art, objet d'une contemplation désintéressée, nous délivrent du désir.
Lorsque je contemple le célèbre
tableau de Van Gogh « les Oliviers à Saint-Rémy », mon émotion est dépouillée de tout « intérêt ».
De vrais oliviers
m'inviteraient à la cueillette, à la sieste sous leurs ombrages.
Le champ d'oliviers serait devant moi simple moyen
pour mes désirs.
Mais c'est moi qui suis devant les oliviers de Van Gogh.
Ceux-ci bien loin d'être au service de mes
tendances, littéralement me ravissent, c'est-à-dire m'arrachent à mon propre univers.
Les psychanalystes prétendent parfois que la création artistique est une transposition des passions sur un plan
supérieur, une sublimation (Léonard aurait inconsciemment dessiné dans la sainte Anne du Louvre un vautour
obsessionnel, marqué dans les plis de la robe de la Vierge; la Cruche cassée de Greuze serait le symbole inconscient
d'une défloration).
De telles explications qui ont leur vérité n'expliquent jamais le beau en tant que beau.
La
psychologie de l'art n'explique jamais de l'art que ce qui en lui n'est pas artistique.
L'artiste a nécessairement des
motivations psychologiques; mais celles-ci ne sauraient rendre compte de la valeur de l'oeuvre, en tant que
participation à la beauté.
La sublimation : le cas de Léonard de Vinci
La sublimation est une des notions qui ont le plus retenu l'attention en
dehors même de la psychanalyse parce qu'elle semble susceptible
d'éclairer les activités dites « supérieures », intellectuelles ou
artistiques.
Pour cette raison même, sa définition est incertaine, chez
Freud lui-même, parce qu'elle fait appel à des valeurs extérieures à la
théorie métapsychologique.
Le mot même évoque bien entendu la grande
catégorie morale et esthétique du sublime, mais aussi la transformation
chimique d'un corps quand il passe de l'état solide à l'état gazeux.
Peutêtre pouvons-nous en tirer l'idée d'élévation depuis les bas-fonds
(sexuels ?) de l'âme jusqu'à ses expressions les plus élevées.
La
psychanalyse ferait alors le mouvement inverse de celui que lui assignait
Freud quand il choisissait comme épigraphe à L'interprétation des rêves,
le vers de Virgile dans l'Énéide : « Flectere si nequeo superos, Acheronta
movebo » (« Si je ne peux fléchir les dieux d'en haut, j'ébranlerai ceux
de l'enfer »).
Freud va jusqu'à utiliser l'expression paradoxale de « libido
désexualisée », éloignée des buts et objets sexuels.
Notons cependant
que ce n'est pas « l'instinct sexuel » unifié qui est ainsi sublimé.
La
sublimation est essentiellement le destin des pulsions partielles, c'est-àdire celles dont l'issue aurait pu être la perversion ou la névrose.
Freud
n'a guère précisé le domaine de la sublimation en dehors des activités
scientifiques ou artistiques.
Dans le Malaise dans la civilisation il semble lui rattacher les activités
professionnelles quand elles sont librement choisies.
D'autre part, il considère comme une forme de sublimation
les formations réactionnelles c'est-à-dire ces barrières élevées contre les pulsions, consolidées pendant la
période de latence par l'éducation, mais qui tirent leurs forces de la libido elle-même.
Ainsi se forment les traits
de caractère : « Ainsi l'entêtement, l'économie, le goût de l'ordre découlent-ils de l'utilisation de l'érotisme
anal.
L'orgueil est déterminé par une forte disposition à l'érotisme urinaire » (Trois essais, p.
190).
Le processus
de la sublimation ne nous propose pas seulement une esquisse de caractérologie, mais plus généralement
encore de la vie éthique : « C'est ainsi que la prédisposition perverse générale d e l'enfance peut être
considérée comme la source d'un certain 'nombre de nos vertus dans la mesure où, par formation réactionnelle,
elle donne le branle à leur élaboration »(ibid., p.
190).
Cependant le texte principal sur la sublimation reste Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci (1910).
Le
souvenir est le suivant : « Je semble avoir été destiné à m'occuper tout spécialement du vautour, écrit
Léonard, car un des premiers souvenir d'enfance est qu'étant au berceau, un vautour vint à moi, m'ouvrit la
bouche avec sa queue et plusieurs fois me frappa avec sa queue entre les lèvres ».
Bien entendu ce récit peut.
»
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