ETUDE DES « NOUVEAUX ESSAIS SUR L'ENTENDEMENT HUMAIN » DE LEIBNIZ.

« Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain furent composés en 1704.

C'est un dialogue dans lequel Leibniz réfute les Essais sur l'entendement de Locke ; il s'y donne le nom de Théophile, et il prête à son interlocuteur celui de Philalèthe.

L'ouvrage comprend quatre livres.

Leibniz n'en a pas inventé le plan, il se contente de prendre celui de Locke, sans rien changer à l'ordre des chapitres, dont il conserve même les titres. La première partie traite des notions innées; la deuxième, des idées; la troisième, des mots; la quatrième, de la connaissance.

C'est ainsi que Locke avait divisé ses Essais sur l'entendement. Les Nouveaux Essais sont précédés d'un Avant-propos, dans lequel Leibniz établit contre Locke : 1° que toutes les connaissances ne viennent pas des sens; 2° que l'esprit pense toujours et qu'il existe des perceptions inconscientes; 3° que les âmes sont toujours unies à un corps; 4° que le vide est nécessaire pour le mouvement; 5° que la matière est incapable de penser. ANALYSE DU PREMIER LIVRE Le livre premier des Nouveaux Essais, qui a pour titre des Notions innées, renferme, comme le livre correspondant de Locke, trois chapitres : CHAPITRE I — S'il y a des principes innés dans l'esprit de l'homme. Après avoir fait l'exposé de ses principales doctrines Leibniz entreprend, dans ce chapitre, rte prouver contre Locke, qu'il y a en nous certaines vérités innées.

Voici, telle qu'il nous a paru possible de la distinguer au milieu des obscurités du dialogue, la suite des pensées par lesquelles il essaye d'établir sa doctrine. Locke avait prétendu qu'il n'y a pas de principes innés, parce qu'il n'y en a pas qui soient universellement reçus.

Leibniz répond qu'il ne fonde pas la certitude des principes innés sur le consentement universel, quoique le consentement unanime soit un indice, sinon une démonstration d'un principe inné.

Quand même les principes de contradiction et d'identité ne seraient pas universellement connus, ils ne laisseraient pas d'être innés, parce qu'on les reconnaît dès qu'on les a entendus.

D'ailleurs, tout le monde les connaît et s'en sert, sans les envisager distinctement et expressément. De ce que ces vérités ne sont en nous que virtuellement, on n'a pas le droit de conclure qu'elles n'y sont pas, parce qu'il existe en nous une infinité de connaissances dont nous ne nous apercevons pas toujours; par exemple, les souvenirs. Ce que l'on dit des deux principes de contradiction et d'identité, doit se dire des idées pures et des vérités nécessaires; en ce sens, on peut dire que toute l'arithmétique et toute la géométrie sont innées et sont en nous d'une manière virtuelle.

En vain objecte-t-on que, pour être en nous, une vérité doit avoir été apprise précédemment, il suffit que la nature l'y ait déposée; de même, il n'est pas nécessaire que nous arrivions à connaître toutes les vérités qui sont en nous, ici-bas du moins. Les vérités innées sont, nécessaires, c'est en cela qu'elles diffèrent des autres; aussi les sens ne suffisent-ils pas à en montrer la nécessité, quoiqu'ils donnent l'occasion de les découvrir.

On y acquiesce dès qu'on les entend, tandis que les autres vérités ont besoin de preuves.

Si quelques autres propositions sont aussitôt connues, c'est qu'elles se fondent sur des vérités innées dont elles sont la conséquence; « car les principes généraux entrent dans nos pensées dont ils font l'âme et la liaison ; ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoique l'on n'y pense point.

L'esprit s'appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément; parce que cela demande une grande attention à ce qu'il fait, et la plupart des gens peu accoutumés à méditer n'en ont guère.» C'est pour cela que la connaissance virtuelle de toutes les sciences est dans tous les hommes, de la même manière que u la figure tracée dans les veines du marbre est dans le marbre, avant qu'on les découvre en travaillant ». Si les enfants et les idiots n'aperçoivent pas les idées qui sont en eux, ce n'est pas une preuve qu'elles n'y sont pas ; mais cela vient de ce qu'ils n'ont pas l'attention qui est requise pour les découvrir. CHAPITRE II.

— Qu'il n'y a point de principes de pratique qui soient innés. Ce chapitre a pour objet la réfutation du chapitre correspondant de l'Essai sur l'entendement, clans lequel Locke, s'appuyant sur les contradictions que l'on rencontre dans les opinions morales de l'humanité, montre qu'il n'y a point de principes moraux qui soient innés. Leibniz distingue ici deux sortes de vérités ignées.

« Il y a, dit-il, des vérités innées que nous trouvons en nous de deux façons, par lumière et par instinct...

Il y a en nous des vérités d'instinct qui sont des principes innés, qu'on sent et qu'on approuve quand même on n'en a point la preuve, qu'on obtient pourtant lorsqu'on rend raison de cet instinct.

» Locke semble admettre ces principes de pratique lorsqu'il reconnaît en nous certaines inclinations innées vers le bien, comme l'envie d'être heureux, l'aversion pour la misère.

Mais, dit Leibniz, « le penchant exprimé par l'entendement passe en précepte ou vérité de pratique, et si le penchant est inné, la vérité l'est aussi, n'y ayant rien dans l'âme qui ne soit exprimé dans l'entendement, mais non pas toujours par une considération actuelle distincte, comme j'ai assez fait voir.

» La diversité des opinions, en morale, s'explique ainsi : « La science morale, comme les autres, dépend des démonstrations que la lumière interne fournit ; et, comme les démonstrations ne sautent pas d'abord aux yeux, ce n'est pas grande merveille si les hommes ne s'aperçoivent pas toujours et d'abord «le tout ce qu'ils possèdent en eux.

Cependant, comme la morale est plus importante que l'arithmétique, Dieu a donné à l'homme des instincts qui portent d'abord et sans raisonnement à quelque chose de ce que la raison ordonne.

« Mais on peut encore résister à ces instincts, quoiqu'on les suive souvent, ainsi que la plus grande et la plus saine pallie du genre humain en témoigne.

« Si la géométrie s'opposait autant à nos passions et à nos intérêts présents que la morale, nous ne la contesterions et ne la violerions guère moins malgré toutes les démonstrations d'Euclide et d'Archimède.

» Les prétendus principes innés qu'ont mis en avant certains auteurs, cités par Locke, ne sont pas des principes innés, u car je tiens, dit Leibniz, qu'on peut et qu'on doit les prouver ». Le consentement universel est une confirmation de l'innéité, quoiqu'il n'en soit pas la preuve principale; aussi l'éducation et la coutume ne peuvent-elles qu'obscurcir les principes innés, mais non les effacer. CHAPITRE III.

— Autres considérations touchant les principes innés, tant ceux qui regardent la spéculation que ceux qui appartiennent à la pratique. Si les principes sont innés, il faut que les idées qui les composent le soient aussi.

Ainsi, dans le principe de contradiction, les idées d'être, du possible, du même, sont innées.

Mais une idée peut nous être connue sans que nous puissions décider d'abord toutes les questions qu'elle renferme ou qu'elle suppose. L'idée de Dieu est innée.

On a soutenu que certains peuples n'avaient aucune idée de Dieu; peut-être n'en connaissent-ils pas le nom, mais il ne parait pas croyable qu'il puisse se trouver sur la terre une nation entière d'hommes assez stupides pour n'avoir aucune idée de Dieu. Les notions de vertu et de substance sont également innées ; mais, pour que ces connaissances, idées ou vérités, soient dans notre esprit, il n'est point nécessaire que nous y ayons jamais pensé actuellement; quoiqu'il soit vrai cependant qu'il nous revient une infinité de pensées, que nous ne nous rappelons plus avoir eues.. »