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Être libre, est-ce plaisant ?

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« Être libre, est-ce plaisant ? a) Le fardeau de la liberté Rousseau liait la liberté du citoyen à son humanité même : «renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs» (Contrat social, I, 4).

Se décharger du fardeau de la liberté en désirant être dominé serait de la sorte abdiquer son humanité.

Doit-on dire de celle-ci qu'elle est un fardeau ? L'analyse de la liberté rejoint celle de Rousseau en ce sens qu'elle aussi définit l'humanité par sa liberté : la liberté est l'être de l'homme.

D'où : l'homme est «condamné à être libre».

Il ne s'agit plus d'une liberté garantie légalement, etc., mais d'une liberté de choix qu'il faut dire métaphysique parce qu'elle est extérieure au monde des preuves, «par-delà toutes les raisons.

Cette liberté, nous y sommes condamnés précisément dans la mesure où elle «coïncide en son fond avec le néant qui est au coeur de l'homme.

L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait être.

Il n'a pas de nature, pas d'essence.

Abandonné, «sans aucune aide d'aucune sorte», il ne peut que se choisir.

C'est nécessairement dans l'angoisse que nous découvrons notre «condition d'être jeté dans une responsabilité qui se retourne jusque sur son délaissement» (l'Être et le Néant, coll.

Tel, IV, 1, 1, pp.

494495 et IV, 1, 3, p.

615).

Mais «la plupart du temps, nous fuyons l'angoisse dans la mauvaise fois», «pour fuir ce qu'on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu'on est.

: condamné à choisir.

Par une sorte de mensonge à nous-mêmes, nous tentons de nous enfermer (et d'enfermer les autres) dans une définition, une essence, une loi ou une passion qui nous libéreraient de notre liberté, si c'était possible, comme on se libère d'un poids.

Comme notre liberté est tout notre «être», une telle conduite, ambiguë nécessairement, ne peut aboutir.

Mais elle manifeste que la liberté de l'homme peut être un fardeau pour l'homme, «quelque chose» qu'il ne peut pas ne pas porter, et qu'il porte même lorsqu'il ne le voudrait pas.

Fuir «l'inquiétude», l'angoisse, est ici impossible.

Le fardeau, pour l'homme, est l'homme lui-même, et le besoin de l'homme d'être dominé est ainsi le besoin de se décharger sur autrui de ce fardeau d'être homme. Pascal nommait divertissement l'inquiétude qui fuit désespérément l'inquiétude. L'ennui est hautement insupportable à l'homme, parce qu'alors, l'absence de tout désir fait place à la considération de soi-même et à la conscience de sa vanité.

Dès lors, on comprend que tout homme cherche à se divertir, c'est-àdire à se détourner de la pensée affligeante de sa misère.

Nos désirs, pour autant qu'ils nous portent à croire que leur réalisation nous rendrait heureux, sont l'instrument majeur de cette stratégie.

L'imagination, qui institue des biens comme désirables, en est l'auxiliaire indispensable.

La vérité du désir n'est donc pas dans son objet mais dans l'agitation qu'il excite : « nous ne recherchons jamais les choses mais la recherche des choses » (773).

Mais le divertissement n'est qu'un cache-misère.

Préférable à l'accablement de l'ennui, il s'avère sur le fond tout aussi nuisible.

Faire obstacle à la considération de sa misère, c'est se priver des moyens de la dépasser. «On charge les hommes, dès l'enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis.

On les accable d'affaires». — Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux ! Que pourrait-on faire pour les rendre malheureux ? — Comment ce qu'on pourrait faire ? ll ne faudrait que leur ôter tous ces soins ; car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont» (Pensées, éd.

Brunschvicg, 143). Privé de liberté parla multitude de ses charges (professionnelles, familiales, sociales), l'homme est libéré du fardeau le plus lourd : lui-même et sa liberté.

Libéré de ces charges, il lui faudrait choisir (pour Pascal, «il faut parier, cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué»), ou plutôt choisir en connaissance de cause, puisqu'en un sens, il choisit tout de même.

Mais, comme on dit, il ne veut pas savoir: mauvaise foi. • «Prendre ses responsabilité», «être condamné à choisir», «fuir sa liberté» comme un fardeau : toutes ces expressions s'inscrivent dans une problématique dont Nietzsche disait qu'il fallait découvrir la généalogie. En effet, que la liberté puisse être un fardeau, au point qu'on aspire à être dominé pour s'en débarrasser, présuppose qu'on puisse distinguer un sujet qui choisit et les actions qu'il fait.

J'ai fait ceci, mais j'aurais pu faire autre chose : prendre mes responsabilités au lieu de les fuir, penser à mon salut au lieu de me divertir, ne pas être de mauvaise foi mais exister dans l' «authenticité»., etc.

Mais cette idée ne va pas de soi ; elle a été inventée, affirme Nietzsche, par des êtres incapables d'accepter l'innocence du devenir et la noblesse de ceux qui s'inscrivaient spontanément dans les mouvements de la vie, s'y aventuraient avec l'aisance d'êtres assez forts et libres pour ne pas s'interroger sur leur liberté, et encore moins pour la ressentir comme un fardeau.

Les idées de liberté, de responsabilité morale, etc., sont des notions mythologiques, inventées par les faibles pour pouvoir demander des comptes aux forts, les accuser, les culpabiliser, pour se venger d'eux, de leur humiliation d'avoir besoin d'être dominés par eux.

Mais prétendre ainsi isoler des causes, dans le devenir, causes de certains effets également définis, c'est plaquer arbitrairement sur le réel des catégories qui font illusion mais qui n'ont aucune vérité.

Leur succès atteste seulement celui des faibles, qui, dans le même mouvement, se sont attribués le mérite. »

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