Etre libre, est-ce être autonome ?
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«
Introduction
• Nous sommes ici questionnés non point exactement sur la liberté, mais sur le fait d'être libre.
Être à l'origine de ses choix, ne pas être
en état de servitude, échapper aux diverses contraintes qui pèsent sur nous, est-ce être autonome, c'est-à-dire obéir à des règles ou
lois dont on est soi-même l'auteur ? Ce qui revient à poser la question suivante : la liberté se confond-elle avec l'obéissance à des
règles que l'on s'impose soi-même ? Cette interrogation peut recéler, à l'évidence, une dimension paradoxale.
La liberté, en effet, est
fréquemment conçue comme une libre spontanéité.
Or, ici, être libre semblerait éventuellement se confondre avec une mise à distance
de l'impulsion, du caprice, du simple désir, etc.
Il y a là une donnée réflexive sur laquelle il convient de s'interroger.
• Quel est le problème soulevé par l'intitulé du sujet ?
Il s'agit de savoir si la liberté s'avère inséparable d'une loi rationnelle, d'un exercice de la rationalité, si elle se confond avec un pouvoir
de la raison ou bien si elle désigne une puissance de dire oui ou non débordant largement le cadre de la rationalité et s'identifiant à la
totalité de nos choix.
• L'enjeu de l'interrogation est ici décisif : en effet, si nous répondons et à la question et au problème, nous sommes en mesure de
mieux comprendre la signification de la pratique même de notre vie, de mieux en faire, en fonction de la réponse, un exercice spirituel
authentique.
A.
Examen du niveau métaphysico-psychologique.
Étymologiquement, déjà, l'idée d'autonomie nous renvoie à la condition d'une personne ou d'une collectivité déterminant elles-mêmes
la loi à laquelle elles se soumettent.
L'autonomie véhicule donc toujours l'idée de règles ou de lois internes, par opposition à des formes
de contraintes externes.
Convenons d'appeler libre tout acte émanant du moi et du moi seulement, toute détermination provenant de nous-mêmes et non point
de contraintes externes.
Être libre, c'est être à l'origine de choix non contraints, ne relevant que de nous, c'est ne pas être le jouet de
puissances externes.
Encore reste-t-il à creuser cette idée d'un choix se rattachant au moi.
Nous faudra-t-il relier la liberté à la totalité
de nos actes ou bien à l'autodétermination selon la raison ?
Rappelons, par exemple, que selon Sartre, être libre désigne une puissance de dire oui ou non, en toute situation, dans la passion
comme dans le désir, dans l'irrationnel comme au sein de la maîtrise de soi.
Loin d'être liée seulement aux pouvoirs de la raison, la
liberté s'expérimente toujours, selon ce penseur, en toute situation.
Dans la mesure où l'existence précède l'essence, on peut dire que
l'homme est un choix perpétuel, une création et une liberté infinies, un pouvoir perpétuel de dépassement détenu par l'existant.
Être
libre, c'est exister et choisir.
Qu'est-ce que faire un choix réellement libre ? On peut, d'une part (Sartre), lier liberté et pouvoir de dépassement permanent (même
en l'absence d'une rationalité), mais on peut aussi privilégier l'expérience du désir ou de la passion.
Dans les deux cas, on refuse
d'opérer une connexion entre liberté et rationalité.
Ainsi, dans le Gorgias, de Platon, Calliclès, sophiste imaginaire, souligne l'intérêt et
le privilège qui s'attachent aux désirs, aux passions, etc.
Être libre, c'est donner satisfaction à tous ses désirs, c'est entretenir en soi les
plus fortes passions, c'est opérer des choix s'enracinant dans nos désirs et « pulsions ».
La liberté consiste à choisir, non point en
fonction de règles, mais en fonction de nos désirs sauvages ou déréglés.
« Pour bien vivre, il faut entretenir en soi-même les plus fortes passions au lieu de les réprimer, et [...] à ces passions, quelque fortes
qu'elles soient, il faut se mettre en état de donner satisfaction par son courage et son intelligence [...].
La vie facile, l'intempérance, la
licence, quand elles sont favorisées, font la vertu et le bonheur.
» (Platon, Gorgias, Budé-Belles Lettres, pp.
173-174).
Tel est le
message, non point certes de Platon, mais du sophiste imaginaire qu'est Calliclès.
La théorie la plus classique qui définit la liberté comme absence de contraintes et libre jeu des passions est celle de Calliclès, sophiste
du ive siècle av.
J.C., adversaire acharné de Socrate.
Définissant l'impossibilité du bonheur dans l'état de servitude et d'esclavage à
l'égard d'un autre ou des autres, il préconise la culture des passions et des désirs que l'on doit multiplier et accroître en nombre et en
intensité pour les satisfaire lorsqu'ils atteignent leur plus haut degré.
Si la répression et la maîtrise de ses instincts, volontés, désirs,
pulsions de vie engendrent tristesse et douleur, l'épanouissement et le plein éclat des forces de vie, ainsi que de notre puissance, nous
réalisent dans le plaisir et la volupté.
Cette culture de la force vitale est un art véritable, réservé à peu de gens.
L'opprobre général
auquel un tel mode de vie donne lieu l'atteste largement.
Les disciples d'Epicure n'ont-ils pas été par la suite traités de pourceaux ?
Notre lâcheté et notre faiblesse nous font préférer la tempérance, la mesure et la justice.
Pour quelques caractères d'exception qui en
ont le courage et la force, la liberté consiste à vivre dans le luxe, l'incontinence et les passions démesurées.
Ainsi, être libre, ce peut être dépasser, en toute situation, le donné, dire « oui » ou « non », d'une manière générale, sans que soit
opérée une référence à la raison (Sartre), mais ce peut être aussi privilégier la satisfaction de nos désirs, comme nous venons de le
voir avec Calliclès.
Qu'est-ce donc qu'être libre ? Il semble que ce soit, au contraire, et en opposition avec la thèse de Calliclès, opter pour la raison et
l'autonomie.
Être autonome, en effet, c'est déterminer et maîtriser, par la raison, nos volontés particulières et ainsi les rendre libres.
Je
suis libre lorsque, en chaque situation, en chaque état, je sais quelles sont mes authentiques possibilités, celles qui sont issues d'un
choix rationnel.
Être libre, c'est, par exemple, par l'effort de sa réflexion, se donner des principes d'action rationnels et raisonnables.
L'individu autonome, loin de rejeter toutes les règles comme Calliclès, obéit aux normes et principes qu'il a choisis après un examen, et
adapte tous ses choix et toutes ses décisions à ces
règles et principes.
A-t-il opté pour des principes de travail, d'effort, de volonté en vue d'un but ? Dans ce cas, se dégageant de
l'emprise servile des impulsions qui ne conduit généralement qu'à l'échec, il choisira en fonction de ces principes rationnels.
Choisir la passion contre la règle, le désir contre la loi, le caprice contre le choix raisonnable, oui, ceci est possible, mais cette forme de
liberté, qui met à distance l'autonomie, met aussi à distance toute construction rationnelle de nous-mêmes.
Le choix libre se définit à
partir de la raison et de l'autonomie et désigne l'accès à une construction pétrie de raison.
Être libre, c'est se décider après réflexion,
en connaissance de cause, obéir à des raisons qu'on approuve.
Toutefois, ce niveau « métaphysico-psychologique » sous-entend déjà l'examen de la sphère morale, qu'il postule et qu'il nous faut
maintenant prendre en compte.
Car la liberté possède aussi un sens éthique.
À vrai dire, la liberté spirituelle est indissolublement
métaphysique et morale..
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