Est-il vrai que les mathématiques soient moins une science à part que l'instrument de toutes les sciences ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION.
— Par l'étude des sciences, d'un point de vue positif.
Auguste COMTE est amené à n'accorder aux
mathématiques aucune place spéciale dans sa classification des sciences.
Il estime qu'elle « est moins une partie
constituante de la philosophie naturelle » (sciences de la nature) que « la vraie base fondamentale de toute cette
philosophie » bien qu'elle soit, à vrai dire, « à la fois l'une et l'autre ».
On peut reconnaître que les mathématiques sont un instrument essentiel, sinon l'instrument unique, de toutes les
sciences; mais a-t-on le droit de leur dénier le titre de sciences ? Les Grecs la regardaient comme la science par
excellence; de nos jours, dans quel sens leur donnerait-on raison ?
L'histoire des sciences nous montre 'l'origine expérimentale des mathématiques avec des procédés empiriques de
calcul (logistique) et des méthodes inductives de recherche (propriétés des nombres et des figures).
Cette origine
commune avec les autres sciences ne suffit pas à les classer parmi les sciences expérimentales.
Nous montrerons l'originalité des mathématiques comme science idéale et les services qu'elle rend et peut rendre
aux sciences positives, non seulement comme instrument logique ou de « calcul » (A.
COMTE), mais en tant que
science abstraite des possibles.
I.
— LA MATHÉMATIQUE EST UNE SCIENCE A PART.
La mathématique pure — qu'il ne faut pas confondre avec ses applications — est vraiment une science qui a son
objet, sa méthode propre et son but bien défini.
A.
Son objet.
— Elle traite, à un certain niveau d'abstraction, de l'ordre, de la grandeur (quantité) et de la mesure
continue ou discontinue.
Ses êtres, suggérés par l'observation sensible, ne sont pas seulement abstraits, comme
certains concepts, mais construits, disons mieux créés sur un mode idéal, avec des conditions d'existence propre qui
les rendent souvent irréalisables en pratique, telles que les surfaces et les lignes sans épaisseur,, les points
matériels.
Les êtres mathématiques, leurs cadres et toutes leurs relations forment un univers à part dans lequel les,
lois sont vraies nécessairement (vérité idéale), sans autres conditions que celles qui les ont fait naître.
B.
Sa méthode propre.
— Cette méthode, qui lui appartient en propre et la faisait regarder par les anciens comme la
science par excellence, est la méthode « déductive »; c'est une suite de raisonnements a priori qui ne fait à aucun
moment appel à l'expérience.
Les « intuitions », s'il y en a, n'atteignent que ses objets ou relations de l'univers
idéal; on peut parler d'intuition mathématique, abstraite et idéale.
Certains mathématiciens qui visent à la rigueur
cherchent à les déduire en exprimant les « axiomes » qu'elles introduisent dans les raisonnements (B.
RUSSELL,
HILBERT).
Sans doute, les sciences positives font, elles aussi, des déductions (syllogistiques ou mathématiques); mais leur
méthode caractéristique est l'induction dont le point de départ et le point final est le contact avec l'expérience
concrète.
C.
Son but propre.
— La mathématique ne vise qu'à la création de son univers idéal, et à la connaissance des êtres
et des relations de cet univers.
Cette science idéale se suffit à elle-même, réserve faite de son origine, dans son
développement indéfini.
C'est cet aspect qui a pu faire croire à des rationalistes qu'elle était une pure création de
l'esprit (KANT).
En résumé, la mathématique pure est une science idéale et abstraite valable inconditionnellement dans son univers.
On ne peut affirmer a priori qu'elle soit une science du « réel », puisque les mots vérité, nécessité, universalité,
n'ont pour elle qu'un sens idéal.
Ils pourraient fort bien n'en avoir point de réel; néanmoins, nous allons montrer
qu'elle constitue une science des possibles.
II.
— LA MATHÉMATIQUE AU SERVICE DES AUTRES SCIENCES.
Pour l'esprit, une loi, une théorie expérimentale, ne peut être vraie que si elle est logiquement possible.
La
mathématique, comme science abstraite et comme logique, va se prêter à l'édification de lois et de théories
possibles, c'est-à-dire à de multiples hypothèses de toute envergure.
Et cela d'autant plus que, dans toute science
qui ne se borne pas à cataloguer des observations, l'esprit reconstruit le monde réel (point de vue idéaliste) à
l'exemple des univers possibles et idéaux du mathématicien.
Plus les sciences comporteront un haut degré
d'abstraction et d'organisation, plus les mathématiques pourront leur venir en aide.
Ces applications tant aux sciences qu'aux techniques sont la récompense de son désintéressement absolu.
A.
L'instrument logique.
— La possibilité d'une théorie est affaire de logique.
La mathématique met sa logique
générale de l'ordre, de la grandeur et de la mesure à la disposition des sciences.
Son rôle sera d'éprouver, par
déduction, la consistance interne d'une hypothèse, sa non-contradiction, et sa fécondité dans le choeur des autres
théories, d'en tirer des conséquences intéressantes et vérifiables.
C'est la partie rationnelle ou déductive de
l'induction, indispensable pour reconstruire le monde donné.
Sous cet angle, on peut dire que la mathématique est
plus une logique qu'une science (à plus forte raison qu'une science positive).
Certains philosophes mathématiciens
en ont fait exclusivement une logique formelle, suivant A.
COMTE qui déjà voyait en la mathématique « abstraite » «
une extension admirable de la logique naturelle », et dont la relation essentielle serait l'implication (B.
RUSSELL).
En particulier, elle fournit aux sciences des algorithmes (procédés de calcul) dans lesquels COMTE voyait surtout
l'instrument : calcul arithmétique, algébrique, vectoriel, calcul infinitésimal, etc.
Comme instrument logique, il faut avouer que son extension s'étend très loin, bien au-delà de ce qui a été
communément admis.
Tout ce qui peut être assimilé à un ordre, à une grandeur ou à une mesure dépend de la
logique mathématique.
B.
La science abstraite des possibles.
- Par son caractère de science abstraite, la mathématique est susceptible
d'applications plus ou moins immédiates, si les phénomènes se comportent sensiblement comme dans ses théories ou.
»
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