Est-il vrai que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?
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L'enfer représente ici le Mal ; la phrase signifiant qu'en matière morale, non seulement ce n'est pas l'intention qui
compte, mais qu'il est très dangereux de ne s'attacher qu'à elle.
Quelle opposition peut-on faire entre intentions et
résultats En quoi ce qui est intentionnellement bon peut-il avoir le mal comme résultat ? Toute bonne intention ne
veut- elle pas le bien ? Est-ce une interrogation sur le bien-fondé des intentions dites " bonnes ", sur la nature
perverse de l'humanité, ou sur la fatalité ? Comment concevoir une idée de véracité par rapport à cette
interrogation ? Implique-t-elle que toute bonne intention provoque le mal ? Demande-t-elle une reconnaissance de la
perversité des bonnes intentions, contre un aveuglement moral, ou religieux ? Comment relativiser l'idée de " bonnes
" intentions ? Par exemple, quand les nazis ont décidé de mettre en place la solution finale, cette idée leur
apparaissait bonne, mais l'était-elle pour autant ? En quoi les termes de " bonne " et " intention " peuvent-ils être
néfastes ? L'intention, par sa subjectivité, demande-t-elle une remise en question de son jugement ? Références
utiles : Kant, Fondement de la métaphysique des moeurs ; Jankélévitch, Pureté de l'intention.
L'idée exprimée par ce proverbe est tout simplement qu'on peut mal se conduire et très mal se conduire (mériter
l'Enfer) en croyant cependant bien agir.
L'acte peut être mauvais alors que l'intention est bonne.
Cette opinion
semble paradoxale.
En effet toute la signification d'un acte n'est-elle pas dans son intention ? N'est-ce pas la bonne
intention qui fait l'acte moralement valable et la mauvaise intention qui rend l'acte répréhensible ?
A première vue, donc, nous sommes tentés de rejeter l'idée du proverbe et de ne juger les actes qu'à partir de leur
intention.
C'est le point de vue de la morale traditionnelle.
Selon saint Thomas, celui qui obéit à une conscience
morale erronée n'est pas coupable.
Il est sincère, il croit agir pour le bien et cela suffit à le justifier.
Kant reprend ce
thème traditionnel de la scolastique avec une vigueur particulière.
Pour lui, ce qui fait la valeur de l'acte ce n'est
pas sa conformité tout extérieure à la loi morale, c'est sa « forme », c'est-à-dire l'intention qui préside à l'acte,
l'esprit dans lequel il est accompli.
Un acte peut être extérieurement et en quelque sorte accidentellement forme au
devoir tout en étant radicalement immoral.
Thénardier ranime un blessé évanoui sur le champ de bataille.
Son acte
est cependant odieux car il ne l'a ranimé qu'en secouant son gilet pour dérober sa montre.
Au rebours, l'infirmier
qui, croyant donner à un malade un médicament lui fait avaler un poison — qu'un autre a déposé sur sa table de nuit
— agit moralement, malgré le résultat déplorable dont il n'est pas responsable.
Pour Kant donc, ce n'est jamais le
contenu matériel de l'acte qui doit déterminer le jugement moral.
Marqué par le protestantisme piétiste, Kant
introduit en quelque sorte dans son éthique, en la laïcisant, l'idée que les « oeuvres » ne comptent pas sans la « foi
».
Tout à l'opposé d'une morale matérialiste des oeuvres, du résultat, Kant prône une éthique mystique où seule
compte l'intention secrète des âmes.
Ainsi, « ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses oeuvres
ou ses succès ».
Il n'y a que l'intention qui compte et alors même que la bonne intention « dans son plus grand
effort n'aboutirait à rien, elle n'en brillerait pas moins ainsi qu'un joyau de son éclat propre, comme quelque chose
qui porte en soi sa valeur tout entière ».
Seule la bonne volonté, cad la volonté d'agir conformément aux prescriptions du devoir moral, vaut absolument.
Certes les talents de l'esprit comme l'intelligence, le jugement, la vivacité d'esprit, ainsi que les qualités de
tempérament comme le courage, la persévérance, l'esprit de décision, sont, sans aucun doute, des choses bonnes
en elles-mêmes.
Le courage, par exemple, ne peut-il pas être mis au service du crime ? Il faut donc conclure qu'elles
ne sont bonnes qu'autant qu'elles sont les instruments d'une bonne volonté.
Ces capacités sont en outre des dons
de la nature ou du hasard.
Il en résulte que si la morale kantienne exige que je mette en oeuvre tous les moyens
dont je dispose pour faire mon devoir, elle ne fait pas de la réussite de mon entreprise une condition de la moralité
de mon action.
Autrement dit, l'absence de résultat ne peut rien retrancher à la valeur morale de l'action, pas plus
que la réussite ne peut y ajouter quelque chose.
Une action faite par devoir tire sa valeur morale, non du but qu'elle
doit atteindre, mais de la maxime d'après laquelle elle est décidée.
L'action accomplie par devoir a toute sa valeur en
elle-même, se distinguant par là de toute action intéressée, qui fait du résultat son seul but.
Elle n'a pas non plus à se soucier des résultats qui dépendent des capacités de l'agent et de circonstances
contingentes.
Comprenons bien la théorie de Kant.
Ce qu'il nomme intention n'est pas « une simple velléité » ; Kant ne veut
évidemment pas dire qu'il suffit d'avoir le projet du bien, et qu'il importe peu d'avoir ou non le courage d'exécuter ce
projet.
J'ai « l'intention » de souscrire à des oeuvres philanthropiques ou de discipliner ma vie déréglée, par exemple.
Si cette intention reste lettre morte et si je retombe dans mon égoïsme et mes passions, je ne suis évidemment pas
justifié aux yeux de Kant ; en revanche, si des circonstances indépendantes de ma volonté m'empêchent d'exécuter
mes intentions, moralement celles-ci gardent toute leur valeur.
On voit que chez Kant l'intention ne s'oppose pas à
l'acte ; une intention qui me dispenserait d'agir ne serait pas une intention ! Mais l'intention, au sens kantien du
mot, c'est le sens, c'est l'âme même de mon acte d'après laquelle celui-ci sera jugé.
Seulement, même ainsi présenté, le point de vue kantien appelle des réserves.
Car il ne suffit pas que l'intention soit
courageuse, il ne suffit pas qu'elle aille jusqu'au bout de son acte - cet acte réellement accompli qui est la preuve
de l'intention parce qu'il en est l'épreuve - pour valoriser l'action.
Il faut que l'action ait en elle-même une valeur
morale.
On ne saurait accepter une éthique purement subjective où l'acte moral soit uniquement apprécié par
rapport à l'intention qui l'inspire.
Beaucoup d'hommes, en effet, ressemblent à l'ours de la fable qui lance un gros
pavé sur le visage de son maître endormi dans l'excellente intention de le délivrer d'une mouche importune.
Les
grands inquisiteurs torturaient l'hérétique dans l'intention de le convertir et de lui épargner les tourments infinis de
l'enfer.
Des parents pleins de bonne volonté peuvent, dans l'excellente intention de surveiller leurs enfants, de leur
éviter des expériences pénibles, de les protéger des dangers de la vie, en faire des inadaptés et des timides
incurables.
Dira-t-on que de tels actes sont moralement parfaits sous prétexte que la bonne volonté de leurs
auteurs est certaine, sous prétexte que leur âme est pure ? Accordons à Kant que la bonne intention est la.
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