Est-il vrai de dire que percevoir c'est se souvenir ?
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«
Dans quelle mesure est-il vrai de dire que « percevoir, c'est se souvenir »?
DÉVELOPPEMENT
Pour la plupart des hommes, les termes de sensation et de perception sont synonymes.
Cette confusion n'est pas
légitime :
La perception est infiniment plus riche que la sensation pure et simple.
A vrai dire, si l'enfant a des sensations
brutes, l'adulte n'a plus guère que des perceptions.
Nous percevons beaucoup plus que nous ne sentons, et c'est ce
qu'on veut exprimer en disant que « percevoir, c'est se souvenir ».
Cette formule heureuse est vraie dans une très large mesure, mais comme toutes les formules simples et frappantes,
elle ne rend peut-être pas compte complexité du phénomène.
Il est évident que percevoir, c'est d'abord sentir.
A l'origine de la perception il y a une sensation, et c'est par là que
nos perceptions se relient au présent, à l'action, à
la vie.
Le défaut d'attention et d'adaptation à la vie est ce qui caractérise ces états qu'on appelle le rêve, la
rêverie, le délire.
Mais percevoir, c'est plus que sentir, c'est aussi se souvenir.
Prenons un exemple ; quand je dis : « j'entends une
voiture », il est clair que je n'entends qu'un bruit; mais cette donnée de l'ouïe a été' associée par des expériences
antérieures à certaines données de mes autres sens, et voilà pourquoi en entendant un certain bruit j'évoquerai
l'image visuelle d'une voiture; je pourrai même dire si le roulement est celui d'une voiture légère ou d'un camion
automobile, si la voiture est vide ou chargée, si elle marche avec lenteur ou avec vitesse.
Tous ces renseignements
ne me sont pas évidemment fournis par l'ouïe; c'est ma mémoire qui me fournit la plupart d'entre eux.
Percevoir,
c'est donc associer et se souvenir.
C'est pour la même raison que le correcteur (l'imprimerie laisse échapper une faute grossière, en substituant
mentale, ment au mot défectueux le mot correct ; que, dans une lecture rapide, nous devinons plus de mots que
nous n'en lisons réellement, et que, dans les célèbres expériences de Goldscheider, le sujet peut déchiffrer en une
seconde une phrase entière, tandis que dans le même temps, il ne peut lire que deux ou trois mots sans suite.
La perception ajoute donc.
à la sensation, des images et des souvenirs, qui se sont trouvés associés à elle dans
mes expériences antérieures, et c'est ce complexus de qualités actuellement perçues et de qualités remémorées qui
constitue ce qu'on appelle un objet.
1° Mais Roustan remarque avec raison que si, à un certain point de vue, la perception contient plus que la
sensation, à un autre point (le vue elle contient moins que les données sensibles qui résultent des excitations
extérieures ; car elle implique l'attention, et l'attention rétrécit le champ de la conscience.
Je perçois dans la réalité
ce qui m'intéresse, je choisis une chose à l'exclusion d'une autre, et dans la chose même que je choisis, je ne
percevrai que ce qui a de l'importance pour moi.
C'est ainsi que les dessins des enfants reproduisent moins ce qu'ils
voient que ce qu'ils savent de l'objet ou que ce qui- les intéresse dans l'objet.
Tant il est vrai que percevoir c'est
souvent prépercevoir, c'est-à-dire projeter l'expérience passée au-devant de l'expérience future.
2° D'autre part, il n'y a pas que des images et des souvenirs dans la perception, il y a aussi des idées.
Percevoir,
c'est interpréter, c'est faire rentrer un objet dans une certaine classe, c'est l'étiqueter d'un nom, c'est lui donner
une sorte d'individualité.
Il ne faudrait pas méconnaître la part de l'intelligence dans la perception.
Les perceptions dites « perceptions acquises » ne sont donc pas des sensations véritables ; ce sont des images,
des souvenirs, des idées ou connaissances évoquées par la sensation ou la a perception naturelle ».
L'éducation des sens ne consiste pas seulement à affiner leurs perceptions naturelles, elle consiste surtout à
développer leurs perceptions acquises, c'est-à-dire à substituer aux données d'un sens les données d'un autre sens.
Cette éducation consiste encore dans le développement de l'attention, car être attentif, c'est percevoir avec
intelligence.
La question posée est surtout psychologique, mais on voit que la pédagogie pourrait en tirer des
applications pratiques.
En résumé, la perception est quelque chose de très complexe pour le psychologue, tandis qu'elle paraît très simple
pour le sens commun..
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