Est il raisonable de désirer vouloir rester jeune ?
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Introduction :
L'éternelle jeunesse est un vœu dont on ne peut se défaire, même si l'on sait que sa réalisation est impossible.
De nos jours pourtant, la société cherche à
nous faire croire à l'immortalité, en nous fournissant mille remèdes et solutions pour paraître plus jeune.
Les progrès de la science, des techniques, et de la
médecine améliorent sans cesse notre confort matériel, et nos performances physiques et nous permettent d'accroître notre espérance de vie de façon
exponentielle.
Rester jeune, c'est reculer devant la mort, c'est refuser le temps qui passe.
Rien ne peut toutefois arrêter le cours du temps et l'on doit
admettre que la jeunesse éternelle est une illusion.
En ce sens désirer rester jeune, c'est adhérer à une croyance irrationnelle en dépit du bon sens, et c'est
s'opposer à la nature elle-même.
Il semble par conséquent que désirer rester jeune n'est pas raisonnable, car c'est faire le souhait de l'impossible.
Mais
certains désirs même inatteignables, peuvent être porteurs, et constructifs.
Désirer être parfait par exemple, est impossible, et néanmoins, ce désir nous
aide à tendre le plus possible vers la perfection.
Y a-t-il une raison justifiée de maintenir le souhait de rester jeune ? Dans quelle mesure peut-il être sage
d'alimenter ce désir ? Est-il raisonnable de vouloir rester jeune ?
1ère partie : Vouloir rester jeune est raisonnable car que c'est un mouvement naturel de l'esprit humain.
- Vouloir rester jeune est un vœu propre aux êtres humains.
En effets, les hommes sont les seuls conscients de leur finitude, précisément parce qu'ils sont
doués de raison.
C 'est donc la raison qui conduit les hommes à vouloir rester jeune, car la conscience de la mort les angoisse.
Merleau-Ponty explique ainsi
que contrairement aux animaux et aux plantes, les hommes craignent pour leur avenir, et anticipent leur futur.
Cette conscience de la mort est donc le fait
de la raison humaine qui seule peut se réfléchir, c'est-à-dire prendre conscience d'elle-même.
- Si la raison est la cause de ce désir humain d'éternelle jeunesse, il n'en reste pas moins que ce désir semble irrationnel car impossible.
L'homme sait
raisonnablement qu'il ne peut être jeune éternellement, puisque la raison lui prouve le contraire en lui donnant conscience de sa finitude.
Néanmoins, la
raison humaine conçoit des désirs qui dépassent les limites de sa capacité à les réaliser.
Kant explique ainsi dans la préface à la Critique de la raison pure
que la raison humaine est bornée mais que cependant ses investigations ne connaissent pas de limites.
La raison humaine est toujours portée vers
l'inconditionné, c'est-à-dire qu'elle se pose des questions qui dépasse les limites de sa capacité à y répondre jamais, et cependant l'illusion est telle qu'elle
ne peut s'empêcher de ce les poser quand même.
Il en va de même pour le désir d'éternelle jeunesse.
Même si la raison sait qu'il est impossible qu'une telle
chose existe un jour, elle ne peut s'empêcher de la désirer.
En ce sens, le désir de rester jeune est raisonnable, car il témoigne de l'activité de la raison
humaine.
2ème partie : Vouloir rester jeune peut être un principe d'action pour la raison.
- V ouloir rester jeune, c'est refuser le temps qui passe, c'est donc refuser la maîtrise que le temps a sur nous.
Si l'on reste jeune, il semble que l'on
échappe au temps et que l'on soit défait de tout déterminisme.
A insi le désir de rester jeune peut être raisonnable si on considère que c'est un refus de
soumission au destin, et l'affirmation de la puissance de l'homme à s'affirmer contre la nature.
- C'est en refusant la fatalité que l'on se donne les moyens d'agir et d'exprimer sa libre volonté.
Désirer rester jeune peut donc être au principe de la volonté
même de l'homme.
En effet la jeunesse représente l'âge de tout les possibles, où rien n'entrave notre action, ni la fragilité d'un corps en croissance, ni son
dépérissement.
La jeunesse est l'acmé du corps humain, et désirer maintenir cet état, c'est penser la possibilité d'être toujours maître de sa volonté, et de
son devenir.
A utrement dit, l'illusion d'une jeunesse permanente peut être raisonnable si elle permet à l'homme de se surpasser, en maintenant son activité
de « jeune » quand bien même le temps le rattrape.
- La perspective de la mort peut être paralysante pour l'être humain.
Si l'on reste hanté part la perspective de la mort, on peut se laisser aller à
l'immobilisme, en proclamant qu'il ne sert à rien de vivre et de faire quoique ce soit si c'est pour mourir.
C 'est cela qui n'est pas raisonnable.
P our être
heureux, et profiter du temps présent, il est parfois raisonnable de figer le temps, et même si désirer rester jeune est une fiction, cela peut nous donner
l'illusion d'être en sécurité, immunisé contre la mort.
Désirer rester jeune, est raisonnable si l'on conçoit se désir comme un désir de vie, et que cela nous
invite à profiter au maximum des possibilités que nous offrent la vie humaine, et à nous réaliser pleinement dans nos projets de vie, nos idéaux.
Désirer
rester jeune peut être raisonnable si ce désir a un sens, et est au service d'une visée éthique et pratique.
3ème partie : Mais vouloir rester jeune est aussi une fuite déraisonnable et un refus de notre condition humaine qu'on ne doit raisonnablement pas admettre.
- Le temps permet l'anticipation, la planification.
Lorsqu'on désire rester jeune, on cherche à figer le temps, et à maintenir les choses en place sans
évolution.
Ce désir n'est donc pas raisonnable car il ne nous fait pas avancer, progresser.
Si l'on désire être demain identique à aujourd'hui, on ne veut rien
changer, on ne projette pas de plans dans le futur, on ne se réalise pas pleinement.
La perspective de la mort est pourtant nécessaire pour nous motiver à
agir sans plus attendre, et c'est parce qu'on anticipe le futur, qu'on se sait pressé par le temps, que l'on agit, que l'on prend des décisions, que l'on
s'interroge sur notre devenir.
La conscience de notre finitude est nécessaire pour avancer, de même que pour donner un sens à notre vie.
Une vie figée dans
la jeunesse est insensée, vaine.
L'homme doit toujours être tendu vers un but, explique Aristote dans l'Ethique à Nicomaque, et c'est toujours en vue d'une fin
qu'il accomplit une action.
L'homme qui désire rester jeune ne désir pas de fin, mais au contraire l'absence de fin, il est donc un insensé réduit à
l'immobilisme.
- La conception psychologique du temps nous permet de penser le temps comme la condition même de notre liberté, car c'est parce que nous avons le
temps devant nous, que nous pouvons espérer agir.
Rousseau explique dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes que
c'est parce que nous nous savons être des êtres en devenir, inscrits dans une temporalité, que nous pouvons avoir des désirs qui nous meuvent, et sont
principes de nos actions.
Nous avons conscience de notre futur, et nous cherchons à le déterminer, en conformant nos actions aux effets que l'on en attend.
- P our Bergson c'est parce que les choses durent, et sont donc soumises au temps, que l'évolution créatrice est possible.
Le temps permet ainsi la liberté
de l'homme car elle lui permet de déployer sa vie en tant qu'évolution et création.
Le temps n'est pas donné d'emblée avec toutes ses possibilités, mais au
contraire, il s'écoule et fait mûrir ce qui est dans un cycle éternel de création, de conservation, et de destruction, où les possibles se manifestent.
C haque
instant de la durée est une pure mobilité, chaque instant est ainsi radicalement neuf et ne se réduit pas à la simple répétition de ce qui a déjà été.
C haque
instant est un moment de création.
V ivre intuitivement la durée qui s'écoule, c'est entrer dans cette création, et faire de sa propre vie une création de soi
par soi, au lieu d'en faire une simple répétition.
C'est dans la mesure où la vie se recrée sans cesse que la vie est réellement vécue, et que l'homme
s'affirme comme créateur, et affirme simultanément sa liberté.
L'homme qui désire rester jeune est déraisonnable car il désire être enfermé dans cette
jeunesse.
Il s'aliène à lui-même, nie sa liberté, et n'écoute pas sa raison.
Conclusion :
De prime abord, le désir de rester jeune semble inconciliable avec la raison dans la mesure où c'est un désir irréalisable.
Et pourtant, on aurait tord de le
rejeter du fait de la raison, car c'est justement parce qu'il est doué de raison que l'homme est conscient de sa finitude et, partant, formule le désir angoissé
de rester éternellement jeune pour échapper à la mort.
En outre, ce n'est pas parce qu'un désir est irréalisable qu'il est forcément stérile.
Il apparaît que le
désir de rester jeune peut être raisonnable s'il devient principe d'action, et alimente notre désir de vivre et de nous dépasser.
Néanmoins, ce désir peut
connaître un versant néfaste pour l'homme et la raison doit à tout prix l'écarter, lorsqu'il fait disparaître complètement à l'homme l'horizon de la mort, et le
fige dans une atemporalité illusoire et dénuée de pulsion de vie.
L'homme doit être conscient de sa finitude pour se réaliser pleinement, il doit désirer se
projeter dans l'avenir pour se construire, et non désirer une stagnation mortifère.
Paradoxalement, il s'ensuivrait que le désir de rester jeune soit un désir de
mort, non pas une mort physique, mais une mort de l'âme….
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