Est-il possible de concevoir, à la suite des grands philosophes classiques, la raison humaine comme un ensemble de principes immuables, universels et nécessaires ?
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Les philosophes classiques ont étudié la raison en eux-mêmes, et encore' aux heures privilégiées de pensée logique
et cohérente.
C'est pourquoi ils ont observé que son activité était régie par des principes identiques chez tous,
immuables, condition nécessaire de toute pensée.
Mais les psychologues qui ont étudié les fous, ceux qui ont observé les enfants, les anthropologistes qui ont
cherché à pénétrer la mentalité des primitifs, ont noté, au contraire, une grande diversité dans la façon de penser
de l'homme suivant le degré de son évolution.
Lévy-Bruhl a même affirmé l'existence d'une mentalité prélogique,
sorte de balbutiement d'une raison qui se cherche.
Il eût d'ailleurs suffi au plus raisonnable des penseurs de
s'observer lui-même pour relever dans le cours de ses pensées de fréquents retours à cette mentalité irrationnelle
qui semble l'état normal de l'enfant et du primitif.
Ces observations suffisent à nous faire rejeter un innéisme simpliste.
Les principes ne sont pas naturellement gravés
dans notre esprit avec la netteté, qu'ils prennent dans les livres et rangés en un système logique.
Nous naissons
avec la faculté de percevoir des rapports et la tendance à tout expliquer par les relations des choses les unes avec
les autres.
Mais nous nous montrons d'abord maladroits dans l'art d'expliquer et avons besoin d'un long
apprentissage.
Toutefois ces faits ne peuvent pas nous amener à nier l'unité de la raison.
La raison est unique, et dans sa
perfection elle n'existe qu'en Dieu; chez ceux en qui elle n'est que participée, elle se mêle, à des degrés divers,
d'irrationnel.
Mais, capable de faire constamment la critique de ses opérations, elle peut éliminer progressivement
cet irrationnel qui la trouble et conquérir son indépendance.
En attendant, s'il y a dans les principes directeurs de
notre pensée du changeant, de l'individuel, du contingent, c'est que nous ne pensons pas avec notre raison.
Il reste
vrai que la raison est un ensemble de principes immuables; universels et nécessaires.
INTRODUCTION.
— Si toutes nos connaissances reposent en définitive sur des intuitions qui nous font atteindre la
réalité elle-même, notre savoir est considérablement étendu par l'élaboration rationnelle du donné intuitif : grâce à
la raison, l'esprit, en se fondant sur les données expérimentales, déborde toujours plus le domaine de l'expérience;
ensuite, par une organisation logique des connaissances acquises, il approfondit sans cesse son intelligence du réel.
Or, l'armature de cette activité et d»e ce savoir est constituée par les principes de la raison : dans les sciences
mathématiques, dont l'objet n'est qu'une abstraction de l'esprit, n'intervient que le principe d'identité avec ses
dérivés, le principe de contradiction et le principe du tiers exclu; dans les sciences expérimentales qui cherchent à
déterminer les lois de la réalité concrète, comme d'ailleurs dans la pensée pratique complètement engagée dans le
réel, les principes que nous venons d'énumérer restent toujours nécessaires pour assurer la correction logique des
opérations mentales; mais le levier essentiel du progrès, de la découverte et de la preuve est le principe de raison
suffisante qu'on invoque le plus, souvent sous une de ses formes dérivées, le principe de causalité et le principe de
finalité.
Par suite, la valeur de nos connaissances dépend de la valeur de cette armature qui a contribué à leur acquisition et
les a élaborées en un système cohérent.
Sans doute, il est théoriquement des connaissances intuitives qui, nous
donnant l'objet avant toute élaboration rationnelle, présentent une valeur absolue Mais, pratiquement, chez l'adulte,
l'intuition pure n'est plus qu'un état limite auquel il est incapable de revenir : le savoir élaboré par l'esprit se
superpose constamment au donné intuitif quand il ne se substitue pas à lui.
Aussi n'est-il pas exagéré de faire
dépendre la valeur de nos connaissances de la valeur des principes.
Il est donc important de savoir si les principes de la raison sont immuables.
Cette immutabilité seule peut garantir la
valeur de l'édifice des sciences comme aussi la légitimité de nos certitudes.
I.
— La thèse : L'IMMUTABILITÉ.
(Conception classique.)
A la question de l'immutabilité des principes de la raison, la philosophie classique répond nettement par l'affirmative.
Pour elle, les principes de la raison sont la loi de toute pensée; par suite, il est contradictoire de concevoir un esprit
soumis à des principes différents.
Les principes ne changent donc pas avec l'âge mental, soit des individus, soit des peuples.
Sans doute, il est un
niveau de développement auquel la raison n'apparaît pas ou n'apparaît guère : la vie psychique s'explique alors
totalement ou principalement par le jeu des associations.
Mais dès que la pensée prend le caractère rationnel, elle
se conforme aux principes qui régissent l'activité intellectuelle de l'adulte civilisé.
Il y a donc bien un progrès de la raison en ce sens que les hommes, à mesure qu'ils s'instruisent et se forment
l'esprit, s'habituent à penser plus rationnellement et à éliminer de leurs jugements les facteurs extra-rationnels qui
les faussent.
Mais ce progrès s'effectue toujours dans le même sens et consiste dans l'extension à des domaines
nouveaux de principes d'abord admis dans la partie du réel la plus aisée à connaître : c'est ainsi que le principe de
raison suffisante a été progressivement étendu du règne minéral à celui du vivant, puis à l'activité humaine,
individuelle ou collective, et même à des faits psychiques qui, comme les lapsus ou les rêves, semblent ne relever
que du hasard; la tentative faite par E.
MEYERSON de ramener l'explication causale à l'explication par l'identité nous
fournit un autre exemple du progrès de la rationalisation tel que le concevait la philosophie classique.
II.
— L'antithèse : LA MUTABILITÉ (Conception dialectique.)
A.
Faits contraires à la conception classique.
— La conviction de l'immutabilité des principes de la raison a été
fortement ébranlée chez nombre de philosophes contemporains par une observation plus attentive et plus étendue
de la pensée humaine et surtout par le développement de la physique dans le sens de l'infiniment grand et de.
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