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Est-il insensé de vouloir transformer l'homme ?

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« [Introduction] Toute annonce concernant une possibilité nouvelle de transformer l'être humain semble habituellement mal accueillie : elle provoque un mélange d'horreur et de terreur, et dans l'imaginaire se profilent des cauchemars de sciencefiction.

L'homme transformé serait un monstre, un mutant, etc.

L'individu tel qu'il se connaît — ou croit se connaître — est trop attaché à son apparence ou à son identité pour admettre aisément que l'humanité puisse être soumise à une volonté de transformation. [I.

L'homme est déjà un être transformé] Une telle réaction est d'autant plus compréhensible que l'histoire abonde en exemples de volontés transformatrices. S'agit-il d'améliorer l'espèce humaine ? L'eugénisme est mis en cause — avec ses principes moralement douteux de sélection — ou, pire, c'est l'entreprise nazie de purification de l'aryanité qui, ayant bien obéi à une volonté déclarée et à une organisation systématique, est évoquée à (juste) titre d'immédiat repoussoir. Si l'homme « normal » paraît ainsi affectivement ou immédiatement hostile à toute volonté de le transformer, c'est toutefois en oubliant qu'il résulte lui-même d'innombrables transformations antérieures. Loin de correspondre à un donné intangible, l'homme, en tant qu'espèce, se définit au contraire par son refus du donné premier, c'est-à-dire de la nature et de son fond d'animalité.

La culture humaine se constitue radicalement par la négation de l'ordre naturel, qu'on l'envisage du point de vue des règles qu'elle instaure (dont la première — la prohibition de l'inceste — constitue bien le refus d'une sexualité encore animale, incapable de différer sa satisfaction), du travail (qui transforme l'environnement initial) ou de l'attitude cultuelle relative au cadavre (qui est l'objet de soins, variables d'un groupe à l'autre, mais toujours codifiés).

C'est donc dès son origine que l'humanité résulte de transformations — au point qu'elle se distingue précisément de toutes les autres espèces vivantes par sa capacité d'autodéfinition. Car la culture n'est pas seulement négation de la nature, elle est, du même mouvement, transformation de l'homme lui-même, qui ne se satisfait jamais de ce qu'il est devenu, et se trouve amené à pousser toujours plus avant son processus d'évolution.

C'est bien ce qu'affirmait déjà Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, lorsque, recomposant une histoire hypothétique de l'humanité, il évoque le passage d'un premier « homme de la nature » à un « homme naturel », puis à un « homme social », et doté le premier d'un principe de perfectibilité, qui équivaut à une absence d'essence ou de nature fixe, et permet au pré-humain d'entrer dans une histoire authentique, c'est-à-dire dans une série de transformations.

Sartre développera cette idée avec l'existentialisme: SARTRE: [...] L'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et ]...] il se conçoit après.

L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien.

Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait.

Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir.

L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.

Tel est le premier principe de l'existentialisme.

C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même.

Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir.

L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un choufleur ; rien n'existe préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être.

Non pas ce qu'il voudra être. Car ce que nous entendons ordinairement par vouloir, c'est une décision consciente, et qui est pour la plupart d'entre nous postérieure à ce qu'il s'est fait lui-même.

Je peux vouloir adhérer à un parti, écrire un livre, me marier, tout cela n'est qu'une manifestation d'un choix plus originel, plus spontané que ce qu'on appelle volonté.

Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est.

Ainsi, la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence.

SARTRE Avez-vous compris l'essentiel ? 1 Notre existence dépend-elle de nous ? 2 La nature humaine nous indique-t-elle quelles sont nos responsabilités ? 3 Est-ce par ma volonté que je deviens ce que je suis ? Réponses: 1 - Non, pas au sens où il dépendrait de nous d'exister ou non.

Mais nous en sommes maître au sens où nous. »

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