Est-il contradictoire de chercher des raisons de croire ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
Les raisons, ce sont les fondements, les choses qui font que, d'une manière rationnelle, on choisit telle ou telle position sur
une question, telle ou telle voie.
Alors, l'idée de « raisons » s'oppose à l'idée de « croire », puisque croire, c'est
précisément adhérer à une chose sans fonder en raison cette adhésion, c'est-à-dire en remplaçant la justification
rationnelle par la justification irrationnelle que procure la foi.
Mais les raisons, ce sont aussi, plus largement, les causes,
qui, elles, peuvent ne pas être rationnelles.
La question est donc double : comment expliquer que les gens croient, et
comment expliquer rationnellement que l'on puisse avoir recours à la croyance plutôt qu'à la raison ?
Ce sujet ressemble donc à un oxymore : et c'est la contradiction même qu'il renferme qu'il faudra interroger.
Il s'agit donc
d'éprouver la pertinence de cette expression, pour définir à quelles conditions elle peut être valide, ou éventuellement la
nuancer ou la remettre totalement en cause.
Pourquoi les hommes croient-ils ? (que ce soit à un dieu dans un cadre religieux, ou simplement au fait que telle personne
est sympathique – il y a des niveaux très différents de croyances) La croyance est-elle à comprendre comme une forme de
savoir d'une telle nature qu'il est impossible de le faire passer par les voies de la raison ? (il y aurait alors l'idée que, par
exemple, Dieu inspire la foi au croyant, et que la raison de croire est alors la volonté même de Dieu.
Ce serait une
perspective théologique).
Ou bien, apprend-on à croire ? (nous héritons souvent des croyances de notre époque, de notre
famille...) et alors la croyance serait une sorte de construction sociale, un ensemble de propositions contingentes
auxquelles on adhère sans les fonder en raison et sans avoir la moindre preuve de leur validité.
On pourrait pousser cette
perspective plus loin ensemble et soutenir que les croyances ont pour raison certains mécanismes de pouvoir qui ont
intérêt à les entretenir pour mieux gouverner les hommes.
Et alors, il serait faux de parler de raisons de croire au sens
élevé du terme (les raisons comme fondements rationnels des choses).
Les points de vue sur la validité de cette expression peuvent donc être multiples ; dans tout les cas, une analyse très
précise de l'expression devra précéder toute prise de position quant à sa validité.
Références utiles
Spinoza, Traité théologico-politique
Augustin, Les Confessions
Textes à utiliser
Kant, La religion dans les limites de la simple raison
« Ce ne peut pas être, par conséquent, chose indifférente pour la morale que de se faire ou non le concept d'une fin
dernière de toutes choses (l'accord de la morale avec un tel concept n'augmente pas le nombre des devoirs, tout en leur
procurant un point particulier où toutes les fins convergent et s'unissent) ; car c'est là l'unique moyen de donner à la
connexion pour nous indispensable de la finalité par liberté et de la finalité naturelle une réalité objectivement pratique.
Supposez un homme plein de respect pour la loi morale, à qui l'idée vient de se demander (ce qui est presque inévitable)
quel monde il créerait sous la direction de la loi morale, s'il en avait la faculté et s'il devait lui-même en faire partie comme
membre ; non seulement il le choisirait exactement tel, si seulement on lui laissait le choix, que l'exige l'idée morale du
souverain bien, mais il voudrait même qu'un monde, n'importe lequel, existât, parce que la loi morale réclame que soit
réalisé le plus grand bien dont nous sommes capables ; et il le voudrait, malgré le danger où il se verrait exposé, d'après
cette idée elle-même, d'y perdre beaucoup personnellement en félicité, parce qu'il pourra peut-être n'être pas adéquat aux
conditions requises pour le bonheur ; il se sentirait de la sorte contraint par sa raison de prendre cette décision d'une
manière tout à fait impartiale et de faire sien, peut-on dire, le jugement que porterait un étranger ; et cela montre bien.
L'origine morale de ce besoin qu'a l'homme de concevoir, outre ses devoirs et pour eux, une fin dernière qui en soit la
conséquence.
La morale conduit donc nécessairement à la religion et s'élève ainsi à l'idée d'un législateur moral tout-puissant, en
dehors de l'humanité , et dans la volonté duquel réside cette fin dernière (de la création du monde), qui peut et qui doit
être en même temps la fin dernière de l'homme.
»
Pascal, Les pensées, fragment 397 (extrait)
« Examinons donc ce point, et disons : Dieu est ou il n'est pas ; mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut
rien déterminer.
Il y a un chaos infini qui nous sépare.
Il se joue un jeu à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera
croix ou pile.
Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre
nul des deux.
Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix, car vous n'en savez rien.
- Non, mais je les blâmerai d'avoir
fait non ce choix, mais un choix, car encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, il sont tous deux en
faute ; le juste est de ne point parier.
- Oui, mais il faut parier.
Cela n'est point volontaire, vous êtes embarqué.
Lequel prendrez-vous donc ? Voyons, puisqu'il
faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins.
Vous avez deux choses à perdre, le vrai et le bien, et deux choses à
engager, votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude, et votre nature a deux choses à fuir,
l'erreur et la misère.
Votre raison n'est pas plus blessée, puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que
l'autre.
Voilà un point vidé.
Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est.
Estimons ces
deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout, et si vous perdez, vous ne perdez rien ; gagez donc qu'il est sans hésiter.
Cela est admirable.
».
»
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