Est-ce un devoir de respecter la nature ?
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«
[Introduction]
Ce n'est, au mieux, que depuis quelques dizaines d'années, que les performances techniques de l'humanité semblent
devenir authentiquement inquiétantes.
Sans doute a-t-on conçu dès le xix siècle (cf le mythe de Frankenstein ou
certains textes de Jules Verne) que la technique avait autant de mauvais que de bons côtés, mais c'était encore de
manière fictive ou théorique.
Au xx siècle, les nouvelles conquêtes de la science et les possibilités techniques
inédites qu'elles offrent sont peu à peu mises en cause, dans la mesure où elles paraissent capables de détruire le
milieu même dans lequel l'homme doit vivre.
La nature n'est plus seulement exploitée ou utilisée, elle commence à
être sérieusement détruite.
Est-il temps, dans ces conditions, de considérer que l'homme doit en venir à la respecter
? Un tel respect peut-il s'instaurer grâce à un devoir authentique ? Ces concepts, dans nos habitudes de pensée, ne
semblent pas si aisément applicables à ce qui ne saurait constituer une « personne », et c'est pourquoi il peut être
également nécessaire de commencer à les élargir.
[I.
La tradition d'exploitation]
Dans la mentalité occidentale, la nature est comprise comme un donné, qu'il appartient à l'homme d'utiliser à son
profit : c'est un ensemble de matières premières et de sources d'énergie que la culture humaine peut utiliser pour
combler les besoins.
Par son travail et ses techniques, l'homme ne se prive pas de retirer ce qui lui convient de la
nature, et de l'obliger à produire ce qui est nécessaire à sa propre survie.
On constate ainsi que, au cours de
l'Histoire, la culture humaine s'est montrée capable de passer d'une exploitation « simple » – celle que l'on rencontre
dès les sociétés « primitives » ou traditionnelles par le biais de la chasse, de la cueillette ou de la pêche – à une
totale transformation du milieu premier, effectuée de manière de plus en plus intense, grâce, non seulement à
l'agriculture et à la métallurgie, mais surtout à la découverte sans cesse nouvelle de « richesses naturelles »
(minerais, charbon, pétrole) et à la mise au point d'énergies de transformation qui finissent par déséquilibrer
totalement le milieu.
Pour Descartes, il ne s'agissait encore que de «jouir des fruits de la nature »,
et l'homme n'était annoncé que « comme maître et possesseur de la nature ».
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met au jour un
projet dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de promouvoir une nouvelle conception de la
science, de la technique et de leurs rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs
de la nature ».
Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du
machinisme, de la domination technicienne du monde.
Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie, c'est qu'il
rompt de façon radicale et essentielle avec sa compréhension antérieure.
Dans le « Discours de la
méthode », Descartes polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la
scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriation chrétienne de la doctrine d'Aristote.
Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie
spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie pratique ».
La philosophie
spéculative désigne la scolastique, qui fait prédominer la contemplation sur l'action, le voir sur
l'agir.
Aristote et la tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée,
n'ayant d'autre but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté.
La vie active est conçue
comme coupée de la vie spéculative, seule digne non seulement des hommes, mais des dieux.
Descartes subvertit la tradition.
D'une part, il cherche des « connaissances qui soient
fort utiles à la vie », d'autre part la science cartésienne ne contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de connaissance.
Avec
le cartésianisme, un idéal d'action, de maîtrise s'introduit au cœur même de l'activité de connaître.
La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une « philosophie pratique ».
« Ce qui n'est
pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les
commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé […] »
La nature ne se contemple plus, elle se domine.
Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à l'homme pour qu'il l'exploite et
s'en rende « comme maître & possesseur ».
Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle de la technique.
Si la science
peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut s'appliquer dans une technique.
La technique n'est plus un art, un.
»
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