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Est-ce légitimement que l'on invoque la réalité des faits contre les spéculations de la raison ?

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« Définition des termes du sujet Ce sujet demande que l'on mette en question une posture intellectuelle courante qui consiste à dénigrer l'usage abstrait, théorique de la raison pour promouvoir la prise en compte des faits bruts.

Plus précisément, c'est la question de la légitimité de cette posture qui est posée : est légitime une instance qui s'exerce à bon droit, qui est fondée à recevoir ce qu'elle revendique – la légitimité suppose donc une validité. Le verbe « invoquer » a un sens fort, il désigne une convocation solennelle, voire sacrée – on invoque les dieux, par exemple.

Cela renforce la teneur polémique de la position qui est ici mise en question, et qui prétend refuser catégoriquement les spéculations de la raison pour s'en tenir aux faits. Le terme « réalité » s'oppose ici à « spéculations » : la réalité est ici comprise comme une qualité, celle des faits, et elle désigne l'adéquation parfaite de ces faits au réel – en un sens, on se contente d'extraire les faits du réel pour les examiner, et ceux-ci ne pourraient donc subir aucune transformation, ce qui fonderait leur validité pour la connaissance.

Le mot « spéculations », en revanche, a, dans ce contexte, une connotation probablement assez péjorative.

Spéculer, c'est généralement penser dans l'abstrait : on peut supposer ici que ce fait de penser dans l'abstrait est soupçonné de fausser la réalité et d'imposer une pensée qui est en réalité vide et vaine. Les « faits » sont l'ensemble des données fournies immédiatement par le réel, et non retravaillées par la raison.

On pourrait donc penser qu'ils constituent la matière la plus susceptible de fournir des connaissances.

La « raison » est l'instance qui, au contraire, prend en charge ces données, en fournit des concepts, des lois, par exemple ; elle prend ses distances par rapport aux faits bruts, et c'est peut-être pour cela que l'on peut lui reprocher de déformer le réel. Il faudra évaluer respectivement la valeur de la seule prise en compte de la réalité des faits et de leur retravail par la raison, de manière à déterminer s'il est légitime ou non de prétendre se passer de la raison pour acquérir une connaissance : les faits bruts valent-ils en eux-mêmes, ou est-il nécessaire, pour qu'ils puissent devenir objets de connaissance, que la raison travaille sur eux, les catégorise et les abstraie ? Dans le second cas, faut-il poser des limites à l'abstraction opérée par la raison ? Existe-t-il un risque, pour la raison, de perdre de vue les faits, ce qui justifierait sa disqualification ? Eléments pour le développement * Le danger du recours systématique à la raison : l'oubli des faits Auguste Comte « Si l'on a souvent justement déploré, dans l'ordre matériel, l'ouvrier exclusivement occupé, pendant sa vie entière, à la fabrication des manches de couteaux ou de têtes d'épingle, la saine philosophie ne doit peut-être pas, au fond, faire moins regretter, dans l'ordre intellectuel, l'emploi exclusif et continu d'un cerveau humain la résolution de quelques équations ou au classement de quelques insectes : l'effet moral, en l'un et l'autre cas, est malheureusement fort analogue ; c'est toujours de tendre essentiellement à inspirer une désastreuse indifférence pour le cours général des affaires humaines, pourvu qu'il y ait sans cesse des équations à résoudre et des épingles à fabriquer.

» On peut critiquer l'éloignement des faits entraîné par le recours à la raison : Comte y voit dans ce texte un automatisme aussi pernicieux que celui qui consiste à ne s'occuper que de fraction insignifiantes du réel, sans vue d'ensemble.

La raison seule semblerait alors éloigner de la saisie du réel, au lieu de permettre cette saisie. * La nécessité d'un usage pratique de la raison Aristote, Ethique à Nicomaque « On a donc raison de dire que c'est par l'accomplissement des actions justes qu'on devient juste, et par l'accomplissement des actions modérées qu'on devient modéré, tandis qu'à ne pas les accomplir nul ne saurait jamais être en passe de devenir bon.

Mais la plupart des hommes, au lieu d'accomplir des actions vertueuses, se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu'ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux : ils ressemblent en cela aux malades qui écoutent leur médecin attentivement, mais n'exécutent aucune de ses prescriptions.

Et de même que ces malades n'assureront pas la santé de leur corps en se soignant de cette façon, les autres non plus n'obtiendront pas celle de l'âme en professant une philosophie de ce genre.

» Il est possible de distinguer deux usages de la raison, et deux rapports différents de la raison aux faits : le premier fait de la raison une instance autosuffisante n'ayant pas besoin d'une application au réel, le second s'efforce de travailler les faits du réel grâce à la raison ; dans ce cas, la réalité des faits et les spéculations de la raison interagissent.

La critique des spéculations de la raison ne vaut alors que pour un certain usage, purement abstrait, de celle-ci.. »

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