Est ce la religion qui nous fait croire au bonheur ?
Extrait du document
«
La religion, du latin religare qui signifie relier, est justement de l'ordre de ce qui relie deux entités entre elles: le
créateur, parfait, nécessaire, et ses créatures, imparfaites et contingentes.
L'attitude du croyant consiste à penser
que l'ensemble de ce qui se situe ici bas ne prend son sens entièrement qu'à partir d'un être transcendant, il part du
principe que l'immanence ne suffit pas pour lui livrer l'entièreté du sens du réel: une part lui échappe, invisible, à
laquelle il n'a de cesse de se rattacher dans son activité de fidèle.
La rupture de ce lien entraînerait une perte
irrémédiable où le croyant resombrerait dans un monde fait de souffrance, de difficultés et d'injustices, sans espoir
de connaître un jour autre chose.
La religion en ce sens, officie dans le sens d'une promesse, celle d'un bonheur
certain pour celui qui se comporte en conséquence: elle nous sauve de cette déchéance et dérive progressive de
notre monde, un monde de peine.
Dans l'étrange et sombre forêt du réel, elle nous propose une lumière pérenne, elle
nous fait proprement croire en un mieux, en une joie éternelle, un bonheur céleste.
Mais comment savoir ce qui
vient en premier? Est-ce notre envie de bonheur qui nous pousse à croire en une religion qui nous propose par-delà
les affres et les mouvements brutaux du réel, une île de quiétude promise à qui sait l'atteindre? Ou est-ce la religion
qui fait naître en nous ce secret espoir? Croire au bonheur, n'est-ce pas déjà supposer que la denrée est rare par
ici, voire que rien ne nous prouve son existence et que nous n'avons comme recours que la croyance, soit le fait de
tabler sur quelque chose d'improbable hic et nunc?
I.
Pourquoi « croire » au bonheur?
Nous allons partir du fait que la croyance religieuse est composée de deux facettes indissociable: l'une empirique, et
l'autre transcendante.
A un premier niveau, nous parlons de croyance au sens d'habitude: nous croyons quelque
chose parce que nous sommes habitués à le voir se dérouler de telle manière.
Par exemple, rien ne m'assure que le
soleil se lèvera demain avec une probabilité de p(1).
Ce n'est pas sûr absolument, pourtant, je crois bien qu'il se
lèvera demain parce que, d'un point de vue psychologique, je suis habitué à le voir chaque matin.
Dans son Enquête
sur l'entendement humain, Hume rappelle que c'est la répétition de l'occurence, de l'apparition d'un événement qui
nous pousse à croire, par habitude (custom) qu'il reviendra comme tel.
Nous
sommes habitués à associer en notre esprit de par l'expérience qui se répète,
l'idée de jour avec celle de soleil qui se lève.
De telle manière que, leur
contiguïté nous semble nécessaire, même si rien ne la fonde absolument, et
qu'à l'apparition de l'un nous nous attendons à voir l'autre.
Il s'agit ici de la facette empirique de la croyance religieuse: habitué à voir
l'injustice, les actions terribles dont l'homme est capable et qui sont les
conséquences de sa nature d'être déchu, les conséquences du péché
adamique qui se répercute sur l'ensemble de l'humanité comme si c'était elle
toute entière qui avait péché à travers ce mauvais geste originel.
Pascal,
dans les Pensées, nous dit que l'homme est minable, et que sa petite joie
véritable ne peut venir que du fait qu'il se sait comme tel.
Habitué à un
certain état de fait, le croyant parce qu'il croit en la perte et l'obscurité du
réel, ne croit précisément plus au réel.
Et ceci l'amène précisément et de manière dynamique à la deuxième facette
de la croyance religieuse: l'espérance.
Cette dernière est avant tout espoir
d'être sauvé d'ici-bas, d'être libéré de ce cycle infernal de destruction et de
tristesse.
La vie est souffrance, elle est donc en un sens coupable de telle
sorte qu'elle mérite d'être jugé à partir d'autre chose qu'elle même, une issue
favorable pour celui qui s'est donné la peine d'être charitable, un retour pour
celui qui a tant donné (car sinon, cela semble trop dure de donné sans jamais savoir si la roue peut tourner).
Croire
au bonheur en ce sens, c'est bien déjà, comme nous l'avons vue, ne pas croire qu'il puisse être ici, et ainsi croire
qu'il est ailleurs, bien au-delà des horizons humains, promis à ceux qui le méritent.
II.
Nietzsche: malheur et dette.
»
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