Est-ce condamner l'art que de dire qu'il porte sur les apparences ?
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«
Est-ce condamner l'art que de dire qu'il porte sur les apparences ?
Quelques directions de recherches
Position de Platon
Il paraît évident au premier abord que pour Platon dire que l'art porte sur les apparences, c'est le condamner,
puisqu'il s'éloigne par là même du vrai.
Cependant, on peut se demander si la condamnation platonicienne porte sur
le fait même d'imiter les apparences, ou bien plutôt sur le fait que l'art prétend reproduire la réalité, le vrai, alors qu'il
n'imite que l'apparence.
Si l'artiste est un charlatan, c'est parce qu'il ne dit pas ce qu'il fait réellement, qu'il nous
abuse et nous ment.
Mais aussitôt qu'il admet être un illusionniste et nous en avertit, que pouvons-nous lui
reprocher ? Bien plus, l'art peut prendre une valeur pédagogique, en nous apprenant à reconnaître l'apparent et
l'illusoire, à nous en méfier et à le dépasser.
Position de Nietzsche
Pour Nietzsche, c'est précisément parce qu'il porte sur l'apparence, ou plutôt parce qu'il est fondateur d'apparences,
que l'art, entendu au sens le plus large, joue un rôle essentiel, celui de protéger la vie : «La vie n'est possible que
grâce à des illusions d'art» (Naissance de la tragédie).
«Si nous n'avions pas approuvé les arts, si nous n 'avions pas
inventé cette sorte de culte de l'erreur, nous ne pourrions pas supporter de voir ce que nous montre maintenant la
science : l'universalité du non-vrai, du mensonge, et que la folie et l'erreur sont les conditions du monde intellectuel
et sensible» (Gai savoir, §107).
Positions de Hegel et de Bergson
Dans une autre perspective, il convient de réfléchir sur la notion même d'apparence.
A cet égard, on pourra méditer
les lignes suivantes de Hegel : « L'art, dit-on, est le règne de l'apparence, de l'illusion, et ce que nous appelons
beau pourrait tout aussi bien être qualifié d'apparence et d'illusoire.
Or des buts véritables, dignes d'être poursuivis,
ne sauraient être réalisés par l'apparence et l'illusion [...]
Mais au fond, qu'est-ce que l'apparence ? Quels sont ses rapports avec l'essence ? N'oublions pas que toute
essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître [...] l'apparence elle-même est loin d'être
quelque chose d'inessentiel, elle constitue, au contraire, un moment essentiel de l'essence.
Le vrai existe pour luimême dans l'esprit, apparaît en lui-même et est là pour les autres.
Il peut donc y avoir plusieurs sortes d'apparence
; la différence porte sur le contenu de ce qui apparaît.
Si donc l'art est une apparence, il aune apparence qui lui est
propre, mais non une apparence tout court.
Cette apparence, propre à l'art, peut, avons-nous dit, être considérée comme trompeuse, en comparaison du monde
extérieur, tel que nous le voyons de notre point de vue utilitaire, ou en comparaison de notre monde sensible et
interne.
Nous n'appelons pas illusoires les objets du monde extérieur, ni ce qui réside dans notre monde interne,
dans notre conscience.
Rien ne nous empêche de dire que, comparée à cette réalité, l'apparence de l'art est illusoire
; mais l'on peut dira avec autant de raison que ce que nous appelons réalité est une illusion plus forte, une
apparence plus trompeuse que l'apparence de l'art [...].
Nous savons que la réalité vraie existe au-delà de la
sensation immédiate et des objets que nous percevons directement.
C'est donc bien plutôt au monde extérieur qu'à
l'apparence de l'art que s'applique le qualificatif d'illusoire.
» (Esthétique, coll.
« Champs », I, p.
29-30)
Dans ces conditions, on peut bien dire avec Platon que l'art imite l'apparence, mais en précisant que cette
apparence n'est pas l'apparence banale de ce que nous nommons ordinairement la «réalité», celle que nous voyons
communément : elle est l'apparence de la réalité au regard de l'artiste, et ce dernier sait voir et nous faire voir ce
que nous étions incapable de distinguer.
C'est pourquoi l'artiste ne doit pas viser à produire une simple imitation de
la nature mais à recréer en quelque sorte la réalité pour nous en manifester la vérité..
»
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