Épicure: Peut-on ignorer la mort ?
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Sans doute la pensée de la mort peut-elle éclairer la question du sens de la vie.
La mort est la fin de la vie car elle en
marque le terme, mais peut-être aussi en un autre sens : en ce que l'existence ne peut se penser qu'en référence à la
mort.
Sans être le but de la vie, ni même nécessairement sa fin, la mort ne se laisse pas éluder, pourtant elle est ce
qui doit absolument être pris en considération.
Les religions proposent souvent un au-delà de la mort, une autre vie.
La
mort serait un nouveau début.
Est-ce seulement une façon de nier la mort ? Le souvenir en est-il une autre ? Au-delà
des questions de foi, comment comprendre d'où naît ce désir d'immortalité ? Peut-on éviter les dissensions et les
conflits entre les différents types d'explications de ce qui reste avant tout un mystère ? A moins de porter une
confiance aveugle à la science, pour qui le corps explique tout.
Pour l'homme l'existence ne peut se réduire au simple cycle biologique : alternance de la vie et de la mort, de la veille
et du sommeil, de la faim et de la réplétion, etc.
Il ne veut pas d'une existence vouée à la répétition ; l'existence ne se
résume pas à la vie.
D'où l'importance fondamentale de l'action.
C'est par elle en effet que l'homme peut laisser une
trace dans le temps, marquer un repère, faire époque, engager un avenir différent et imprévisible, initier des processus
par lesquels il se met en relation avec l'humanité présente et l'humanité à venir.
Son souci d'immortalité l'amène parfois
à confondre les actes posés, leur valeur et leurs conséquences, avec la simple gloire ou célébrité, qui ont pour seul but
de marquer les esprits.
L'introduction de valeurs morales ou intellectuelles lui permet alors de déterminer les critères ou
fondements de l'existence.
Il semble aller de soi que tout être vivant tende à persévérer dans l'être et soit attaché à la vie.
Mais il est plus
difficile d'en assigner les causes et d'en mesurer les suites.
Cela provient-il d'un attachement instinctif et inconditionnel
? Mais l'on ne comprendrait pas alors le désir de mort ; non seulement celle des autres, mais parfois la sienne.
Ou bien
faut-il considérer la valeur de la vie comme une donnée rationnelle ? Pourrions-nous donc apprendre à mourir ? Ces
hésitations témoignent à nouveau d'une tension, qui résulte de notre nature double : être sensible et être doué de
raison.
L'existence, tout comme la mort, est éminemment individuelle.
Mais si nous nous sentons concerné au plus près
par la singularité de notre être, nous sommes aussi un être social.
Membre d'une société qui elle aussi prétend
persévérer dans son être propre, en nous protégeant de nous-même, prenant le relais lorsque nos propres ressources
nous abandonnent.
Elle nous oblige à élargir nos perspectives, au risque de nous aliéner.
Les notions de mort et de temps sont liées, ne serait-ce que parce qu'elles renvoient toutes deux à la finitude de
l'homme.
Elles sont en effet limite et contrainte.
On ne s'étonnera donc pas de retrouver, au sujet du temps, les
équivoques qu'on avait aperçues s'agissant de la mort : il est vécu tour à tour comme un adversaire, limite ou
contrainte aliénante, et comme un allié, moyen de penser et d'agir, élément crucial de la réalisation par l'être humain
de sa liberté.
Le temps est-il un phénomène en soi, ou le produit de notre conscience ? Ces questions sont souvent
vécues dans leur dimension contradictoire.
Les dimensions du temps sont aussi conflictuelles.
Le présent peut-il servir
à occulter le passé ? Le futur est-il la finalité du temps ? Des notions comme celle de progrès ou de modernité
véhiculent sur ces questions un parti pris dont nous ne sommes pas toujours conscients.
Si l'existence est difficile, c'est peut-être parce qu'elle doit sans cesse résister à tout ce qui, en elle, l'éloigne d'ellemême, à une série de tentations qui la distraient d'elle-même.
C'est autant celles qui veulent l'enfermer dans la
réalisation de buts finis et déterminés, que celles qui lui assignent une finalité externe et transcendante.
Autant les
bruyantes revendications de l'originalité à tout prix que les facilités du conformisme.
Autant les illusions d'une liberté
déréglée et aveugle que la froide gestion technicienne des déterminismes.
Mais quelque chose nous pousse à vivre,
une pulsion incontrôlée, en dépit des problèmes et de l'absurdité apparente, celle de la mort, inéluctable, ou de
l'absence de sens.
Nous pallions communément cette absurdité en accordant au présent tous les espoirs permis par
l'indétermination du futur.
Par manque d'authenticité nous évitons de regarder en face notre propre existence et nous
jouons la comédie tout en y croyant.
Or l'existence, celle de la vie en général ou la nôtre propre, a-t-elle une raison
d'être ? Et à défaut de trouver du sens à tout cela, peut-être nous faut-il, comme Épicure entre autres l'enseignait,
apprendre à vivre en saisissant l'instant présent..
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