Epictète: bonheur et dépendance
Extrait du document
«
Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous
C'est la règle à comprendre.
Tout le malheur des hommes vient de ce qu'ils
confondent ce qui est en leur pouvoir et ce qui n'est pas en leur pouvoir.
Ils
désirent ainsi ce qui ne dépend pas d'eux (envie, jalousie), s'affligent de ce qui
leur échappe (deuil...) et sont ainsi esclaves des événements, des autres, du
jugement des autres : du monde extérieur.
Le but est donc de redevenir maître
de soi, d'exercer sa maîtrise sur les seules choses qui dépendent de nous : nos
représentations, nos jugements.
Non pas désirer ce qu'on n'a pas ou n'est pas,
mais rendre désirable ce qu'on a et ce qu'on est.
Alors on retrouve sa pleine
liberté, puisqu'on focalise son attention uniquement sur ce qui dépend de nous.
On vit une vie sans trouble.
"Il n'y a qu'une route vers le bonheur, c'est de renoncer aux choses qui ne
dépendent pas de notre volonté..." ÉPICTÈTE
Bien que la référence ne soit pas indiquée, le candidat qui possède une certaine
culture philosophique aura reconnu ici une formulation stoïcienne.
Il s'agit
précisément d'une citation d' Epictète (Entretiens, IV, 4, 39).
On peut
cependant traiter ce sujet alors même qu'on ignore tout de la philosophie des
stoïciens.
Si les hommes n'atteignent pas le bonheur, c'est bien parce qu'ils ont
des désirs multiples et que, parmi ceux-ci, nombreux sont ceux qui ne peuvent être satisfaits.
Il y a des choses,
comme la santé ou la richesse, qui ne dépendent pas entièrement de notre volonté.
Savoir se contenter de ce qui est
possible, serait alors la seule « route vers le bonheur ».
C'est dans la quatrième partie du livre IV des Entretiens, dédiée « A ceux qui cherchent à mener une vie tranquille »,
et sous le titre « Le labeur véritable » qu'Épictète déclare :
« Il n'y a qu'une route vers le bonheur (que cela soit présent à ton esprit dès l'aurore, jour et nuit), c'est de renoncer
aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté, de croire qu'aucune d'elles n'est notre propriété, de les abandonner
toutes à la divinité, à la Fortune.
»
Comme un leitmotiv revient sans cesse dans la philosophie stoïcienne l'impérieuse nécessité des distinctions : «
S'instruire ? C'est apprendre à diviser les choses, en choses qui dépendent de nous, et en choses qui n'en dépendent
pas.
» Ce qui en grec ancien a le charme de l'assonance : ta eph êmin, ta ouk eph êmin ; ce qui dépend de nous, ce
qui ne dépend pas de nous.
Ce qui dépend de nous, c'est la volonté et les actes volontaires.
« Les dieux n'ont fait dépendre de nous que ce qui
est supérieur à tout, ce qui domine tout, c'est-à-dire l'usage correct des représentations » (Épictète, Entretiens, I, 1,
7).
Ce qui dépend de la volonté peut être un bien (vouloir supporter généreusement la mort de son fils) ou être un mal
(vouloir se plaindre de la mort de son fils).
Vouloir l'un ou l'autre, cela est en notre pouvoir.
A partir de la
représentation, il est possible de donner d'abord son assentiment (j'admets cette mort), puis de s'élever jusqu'à la
compréhension (de la loi universelle qui veut le cycle de vie et de mort).
On voit que ce qui dépend de nous, ce sont
nos actions, nos oeuvres propres, celles que nous accomplissons en conformité avec notre nature.
Et connaître sa
propre nature, pour l'homme, c'est reconnaître « qu'on n'est ni chair, ni os, ni nerfs, mais le principe qui se sert de ces
instruments, le principe qui, à la fois, gouverne et comprend les représentations » (Épictète, Entretiens, IV, 7).
Connaître sa propre nature, pour l'homme, c'est reconnaître qu'il y â en lui-même une faculté capable « d'avoir
conscience d'elle-même, de sa nature, de son pouvoir, de la valeur qu'elle apporte en venant en nous », c'est
reconnaître l'existence de la Raison (Entretiens, I, 1).
Ce qui ne dépend pas de nous, ce sont le corps « et ses parties, les biens, les parents, les frères, les enfants, la patrie
et en général tous les membres de notre communauté » (Épictète, Entretiens, I, 22, 10).
Plus généralement, l'ensemble
des événements, qui, comme le nom l'indique, sont extérieurs à nous-mêmes.
Les choses qui ne dépendent pas de
nous ne sont pas des biens.
Cette distinction faite, il est possible de reconnaître les biens, les maux, et les choses indifférentes.
Les biens sont liés
à l'utile : la réflexion, la justice, le courage, la sagesse.
Les maux sont liés au nuisible : l'irréflexion, l'injustice, la
lâcheté, la folie.
Et puis, il y a des choses indifférentes, qui ne sont ni des biens ni des maux : la vie, la mort ; la
santé, la maladie ; la beauté, la laideur.
Elles ne servent ni ne nuisent par elles-mêmes, mais l'homme peut se servir
d'elles pour nuire ou pour être utile.
Elles peuvent donc apporter le malheur, ou le bonheur, selon l'usage qu'on en fait.
A partir de là se développe toute la pratique de la philosophie morale stoïcienne, qui vise non pas tant à supprimer le
désir (qui est un mouvement de rapprochement, conforme à la nature), ou à supprimer l'aversion (qui est un
mouvement d'éloignement, conforme à la nature), mais à déterminer correctement ce sur quoi porte ce mouvement.
Désir et aversion ne doivent s'appliquer que sur ce qui dépend de nous ; sinon, nous allons désirer ce qui ne dépend
pas de nous (la réputation, la richesse, le pouvoir) et haïr ce qui ne dépend pas de nous (la maladie, la mort, la
pauvreté).
C'est à ce prix que l'on peut faire la conquête progressive de la liberté — le bien suprême —, du moins de la
liberté intérieure, totalement affranchie des circonstances extérieures.
Il y a donc un principe d'action, aisé à comprendre, et dont nous pouvons maintenant saisir toute la portée :
« Renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté », principe qui est rappelé en tête de cet Entretien.
Mais la leçon de philosophie, avec Épictète, est toujours très concrète, elle se nourrit d'exemples.
Celui qui est fourni,
dans la suite du texte, est le suivant : « Aussi ne puis-je appeler travailleur celui dont j'entends dire seulement qu'il lit
ou qu'il écrit, même si l'on ajoute qu'il y passe des nuits entières.
».
»
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