En quoi peut-on dire que parler est le propre de l'homme ?
Extrait du document
«
introduction
Critiquant les vues de Montaigne et de Charron qui avançaient « qu'il y a plus de différences d'homme à homme, que
d'homme à bête », Descartes observait : « il est fort remarquable que la parole ne convient qu'à l'homme seul » (Lettre au
marquis de Newcastle, Lettres, P.U.F., p.
161).
Le langage serait le propre de l'homme et un critère objectif de
différenciation de ce dernier d'avec l'animal.
Mais ne constatons-nous pas que les animaux eux aussi communiquent entre
eux, qu'ils possèdent donc également un certain langage ? En quoi donc le langage est-il spécifiquement humain ?
Première partie : Langage et communication
a) Au sens restreint le langage désigne « la faculté humaine de communiquer au moyen de signes vocaux ».
Si nous
prenons cette acception du mot, notre sujet n'a plus de sens puisque le langage étant par définition humain, il est
nécessairement le propre de l'homme.
Ou plutôt nous sommes alors en face d'une pétition de principe, puisque nous
tenons pour vrai ce qu'il s'agit précisément de démontrer.
Il convient donc de nous demander d'abord si la faculté de
communiquer au moyen de signes quelconques est le propre de l'homme (car pourquoi accorderions-nous a priori un rôle
essentiel, ou négligeable, dans le processus de la communication au caractère vocal des signes ? Les sourds-muets ne
peuvent parler, et pourtant ils usent d'un « langage »; celui-ci ne serait-il pas spécifiquement humain ?); et dans la
négative, s'il existe une spécificité du langage humain qui permet de le distinguer radicalement des autres « langages »
animaux, le terme langage désignant alors, en son sens large, tout système de signes utilisé pour établir une
communication.
b) Rappelons que toute communication suppose un « émetteur » envoyant un message à un « récepteur » (celui-ci
pouvant devenir à son tour émetteur, et celui-là récepteur si la communication est réflexive).
Le message implique un
contexte (réfèrent) appréhendé par l'émetteur et appréhensible par le récepteur ; ensuite, un code, c'est-à-dire un
système de signes, qui doit être au moins en partie commun à l'émetteur et au récepteur ; enfin un canal, ou médium, à
travers lequel les participants sont capables d'établir et de maintenir un contact.
Le signe, par ailleurs, se compose d'un
signifiant, c'est-à-dire d'un élément matériel qui est le support du sens, et d'un signifié qui est le sens, le « contenu
sémantique » du signe, c'est-à-dire ce que le signe veut dire.
c) L'étude des systèmes de communication dans l'ensemble des êtres vivants (zoosémiotique) montre que les canaux
utilisés sont extrêmements variés, toute forme de propagation d'énergie pouvant être utilisée.
Les signes peuvent ainsi
être visuels, vocaux, olfactifs, tactiles, thermiques, électriques, etc.
Deuxième partie : Analyse de la communication animale
a) L'exemple le plus classique, parce que l'un des plus élaborés, de « langage » animal est celui des abeilles, qui a été
décrypté par Karl von Frisch (cf.
Bées, their vision, chemical sensés and language, 1950).
Celui-ci a montré que par ses «
danses » une abeille est capable de signaler à ses congénères l'emplacement d'une source de nourriture en leur indiquant
la direction et la distance de cette dernière par rapport à la ruche.
Il y a donc bien production d'un message transmettant
une information à propos d'une certaine réalité, information enregistrée et encodée par l'abeille émettrice et décodée par
les abeilles réceptrices, donc selon un code valable pour une communauté déterminée.
Les animaux sont capables de communiquer des informations et, pourtant, ils ne parlent pas.
Ainsi en est-il des abeilles,
qui, par leur vol et leurs danses, transmettent des informations précises à leurs congénères quant à la situation
géographique du pollen à récolter.
Pour transmettre une information, il suffit souvent d'un geste ou d'un cri, la parole n'est
pas indispensable.
Réfléchissant à partir des observations réalisées sur le mode de communication propre aux abeilles par
Von Frisch, Benveniste en rappelle d'abord la teneur.
De retour à la ruche, une abeille qui effectue devant ses congénères
une danse en cercle signale par là que de la nourriture se trouve à une faible distance.
Relevant d'un symbolisme moins
rudimentaire, une danse en huit accompagnée d'un frétillement continu de l'abdomen indique quant à elle à quelle
distance on doit chercher (plus la danse est lente, plus le butin est loin), mais aussi dans quelle direction s'envoler (l'axe
du huit indique l'angle que le lieu de la découverte forme avec le soleil).
Toutefois, six points de contraste au moins
interdisent de considérer comme un langage ce mode de communication animal.
Les deux premiers sont son caractère non
phonique, et par voie de conséquence le fait que ce symbolisme soit inopérant dans l'obscurité.
Mais comme on l'a déjà
signalé, cela vaudrait aussi dans le cas du langage des sourds-muets.
Plus décisive est la troisième remarque de
Benvéniste : à savoir que le message de l'abeille exploratrice n'appelle pas de réponse, n'instaure pas de dialogue.
Au lieu
que « nous nous parlons à d'autres qui parlent ».
Non seulement les abeilles ignorent le dialogue, mais leurs messages ne
peuvent se référer qu'à une donnée objective.
Toujours la même au demeurant : la nourriture.
Cela contraste, relève
Benveniste, avec « l'illimité des contenus du langage humain ».
Celui-ci, par ailleurs, voit s'entrelacer relation à l'objet et
réaction au discours de l'autre.
Or chez les abeilles, il n'arrive pas qu'un message se rapporte à un autre message : on n'a
pas observé par exemple qu'une abeille aille répéter dans une autre ruche la danse à laquelle elle venait d'assister.
Dernière remarque, la plus importante aux yeux du linguiste : le langage humain se laisse décomposer en un nombre fini
d'éléments constitutifs, éléments de signification ou constituants sonores dont les combinaisons réglées peuvent
engendrer une infinités de messages.
Au contraire, « le message des abeilles ne se laisse pas analyser », c'est-à-dire
décomposer en une série d'éléments formateurs, identifiables et distinctifs.
Le mode de communication employé par les
abeilles ne serait donc « pas un langage, mais un code de signaux », tout entier inscrit dans le code génétique des
insectes.
b) De tels phénomènes de communication se retrouvent dans de nombreuses espèces animales, non seulement chez les
insectes, mais également chez les oiseaux (cf.
par exemple le déchiffrement du langage des choucas par Lorenz) ou les
mammifères (cf.
les études de C.-R.
Carpentier sur les singes).
D'une façon générale, les messages que s'adressent les
animaux portent aussi bien sur le territoire qu'ils occupent (intrusion de prédateurs, etc.) que sur leur statut dans la
hiérarchie sociale ou sur leur humeur du moment.
Ils peuvent exprimer l'effroi, l'inquiétude, la douleur, la colère, et même
la défiance, la supériorité, la gaieté, la soumission, la sollicitude..
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