En quoi le besoin et le désir sont-ils opposables ?
Extrait du document
«
Désir
Le désir est d'abord la prise de conscience d'un manque, dont la satisfaction procure du plaisir.
Le stoïcisme préconise de discipliner nos désirs si on veut
atteindre le bonheur.
Platon nous invite quant à lui à nous méfier du désir, car il est insatiable, et de ce fait, source d'insatisfaction toujours recommencée.
Besoin:
Exigence ou nécessité naturelle, d'ordre physiologique, dont l'assouvissement est nécessaire au maintien de la vie.
À distinguer des besoins acquis ou artificiels, d'ordre psychologique ou social.
Si nous suivons l'usage de la langue, il nous apparaît en premier lieu que le besoin serait un manque dont la satisfaction est nécessaire à l'équilibre ou au
bon fonctionnement d'un organisme, tandis que le désir serait contingent, c'est-à-dire qu'on peut choisir de le satisfaire ou pas.
Manger est un besoin, mais
non manger tel plat particulier.
En deuxième lieu, le besoin serait un manque objectif mesurable en référence à un état d'équilibre déterminé,
indépendamment de ce que la personne concernée en pense.
Le désir serait au contraire subjectif il désignerait c e que la personne éprouve,
indépendamment de ses besoins objectifs.
La carence désigne ce dont on est effectivement privé, la frustration le sentiment d'insatisfaction, lié à une
déception plus ou moins justifiée.
En troisième lieu, le besoin serait naturel, d'origine corporelle, alors que le désir serait artificiel, trouvant sa source dans la pensée et plus encore dans
l'imagination.
Enfin, le besoin aurait un objet spécifique qui peut le combler, du moins momentanément, alors que le désir serait sans objet susceptible de le
contenter, même provisoirement.
V oilà en tout état de cause ce que nous suggère l'usage de la langue française.
Le besoin caractérise l'état de l'organisme lorsqu'il est privé de ce qui assure son fonctionnement : on distingue le besoin vital – boire et manger –, qui
concerne la conservation de l'individu, et le besoin sexué: qui assure la survie de l'espèce.
S'ajoutent à ces besoins physiologiques les besoins dits « artificiels », créés par la société.
Dans les deux cas, le besoin trouve son assouvissement dans
un objet qui lui préexiste et le complète.
Il en va autrement du désir : il n'a pas d'objet qui lui soit par avance assigné.
Quand je désire être heureux, suis-je
capable de définir précisément ce que j'attends ? L'objet du désir est indéterminé.
Besoin & Désir.
J'ai soif, j'éprouve le besoin de boire, mon corps me dicte cette nécessité impérieuse.
En revanche, pour étancher cette soif, si je commande une bière plutôt
qu'un jus d'orange (ou l'inverse !...), ce choix ne m'a pas été dicté par mon corps, car l'eau aurait pu tout aussi bien faire l'affaire.
Boire lorsqu'on a soif
répond à un besoin, mais boire quelque chose d'agréable qu'on préfère à tout autre chose répond à un désir.
La distinction entre le besoin et le désir est
d'abord celle de la nécessité et de la contingence.
1) Nécessité & contingence.
La satisfaction d'un besoin est une nécessité vitale puisqu'en son absence, la vie ou la survie de l'individu est menacée.
On meurt de ne pas boire, on ne meurt pas de ne pas boire une bière : le désir a une contingence qui le rejette du côté du
superflu.
Ainsi distinguera-t-on l'envie ou le caprice d'une part, et le besoin de l'autre : la survie de l'individu constitue
un critère objectif.
C ontrairement au désir en proie à la démesure, le besoin possède la sobriété d'une nécessité vitale.
A lors que le désir
peut prendre l'aspect frivole d'une quête indéfinie du luxe, le besoin répond à un souci de sérieux de recherche du strict
nécessaire, ce qu'Epicure et d'autres ont bien compris.
De fait la privation (non-satisfaction du besoin) n'a pas le même sens que la frustration (non-satisfaction d'un désir).
C 'est quoi toutes les sagesses antiques ont dénoncé les besoins artificiels comme vecteurs du malheur.
Epicure
distinguait 3 catégories de besoins : les naturels et nécessaires, les naturels et non nécessaires, les non naturels et non
nécessaires.
Les premiers correspondent à une stricte nécessité naturelle (manger quand on a faim) ; les seconds
ajoutent aux premiers une dimension de plaisir (manger un plat raffiné) ; les troisièmes qu'Épicure condamne absolument
comme contraires à toute sagesse et à tout bonheur, ne sont que les produits de l'imagination, ils correspondent à ce
que nous appellerions désirs : gloire, richesse, honneurs.
2) Le corps & l'esprit.
La distinction du besoin et du désir recoupe celle du corps et de l'esprit, celle aussi de la nature et de la culture.
Dans le
besoin, la dimension physique est prévalente, dans le désir, c'est la dimension psychologique qui domine.
A lors que le besoin est fini – la satisfaction y met fin, du moins provisoirement-, le désir est infini car aucune satisfaction
ne saurait le combler.
Le besoin peut dire : « A ssez ! ».
Le désir crie : « Encore ! ».
Qui peut se croire assez aimé ou
assez riche ? On observe couramment des gens qui ne manquant de rien sont frustrés de tout, donc malheureux alors
qu'ils disposent des « conditions objectives » du bonheur.
C'est pourquoi le bouddhisme voit dans le désir la cause du malheur des hommes, et dans
l'extinction du désir, la voie de la délivrance (cf.
cours sur le bonheur).
3) Artificialité du besoin et nécessité du désir.
Pourtant cette claire opposition entre le besoin lié au corps, donc naturel et un désir lié à l'âme, donc artificiel, n'est pas aussi indiscutable qu'il y paraît.
Les besoins ne constituent pas une donnée immuable.
Marx avait fait observer qu'un besoin dépend de son mode de satisfaction : manger avec un couteau
et une fourchette est déjà différent de se nourrir comme un animal.
L'Histoire est aussi celle d'une constante création de
besoins (la possession d'une voiture correspond aujourd'hui à un réel besoin pour nombre d'hommes).
C e qui nous amène
à dire que les désirs d'hier seront les besoins d'aujourd'hui.
Rousseau est lui-même conscient du caractère historique du besoin.
Ainsi, vouloir comme Epicure, limiter l'illimité des
désirs à l'aune du besoin -toujours naturel donc nécessaire- est une entreprise aussi castratrice que vaine.
Q u'est-ce en
effet qu'une règle (celle du besoin) qui se dérègle régulièrement ? Qu'est-ce qu'un étalon qui doit périodiquement se
redéfinir ?
Inversement, le désir n'est pas une marque de contingence dont l'homme serait frappé.
Un petit enfant a autant besoin
de sourires, de paroles, de caresses que de nourriture.
Le désir n'a pas seulement une dimension sociale dont on voit mal
comment l'homme pourrait se passer.
A insi, même si la distinction entre besoin et désir paraît commode, bien des traits de l'un peuvent être reconnus dans
l'autre..
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