En quoi l'artiste est-il plus qu'un artisan ?
Extrait du document
«
L'artiste, comme l'artisan, met en oeuvre une technique qui lui permet d'obtenir le résultat formel qu'il
recherche.
La différence entre l'artisan et l'artiste n'a d'ailleurs pas toujours existé.
Elle s'est imposée
progressivement en Europe entre le xvie et le XXe siècle.
Deux caractéristiques distinguent l'artisan de l'artiste tel que nous le concevons.
La première est que l'artisan
ne vise pas la beauté pour elle-même, mais qu'il a un but utile, qui peut être de nature pratique, religieuse ou
magique.
La seconde est que l'artisan applique des conventions et des règles déjà établies, sans avoir à
innover et à modifier le langage des formes.
Mais la distinction n'est pas toujours apparente car l'artiste
travaille lui aussi à l'intérieur des conventions - qu'il les partage avec son époque ou qu'il se les donne luimême - et l'artisan, de son côté, peut faire preuve d'innovation.
L'art égyptien, par exemple, doit-il être
attribué à des artistes ou à des artisans ? La statue égyptienne Karomama illustre bien cette difficulté.
Champollion, qui l'a rapportée d'Égypte, la considère comme un chef-d'oeuvre artistique, alors que son auteur y
a inscrit ses intentions, qui semblent étrangères à celles de l'art.
(Voir « Les exercices »).
Renouant avec l'idée d'inspiration, Kant écrit que « les beaux-arts sont les arts du génie ».
Il entend par le
terme de génie une disposition innée de l'esprit, « le talent (don naturel) qui donne les règles à l'art ».
De ce point de vue, l'artiste est donc un être ayant reçu un don exceptionnel, un créateur de formes
originales, qui ne sait pas lui-même comment il réalise son produit.
L'artisan, au contraire, applique des règles
déjà existantes, mais ne les invente pas.
Cette « explication » de l'art par le génie inné de l'artiste présente
l'inconvénient de n'expliquer ni les sources ni les mécanismes de l'invention des formes.
Nietzsche en déduit
que c'est par vanité que nous, les non-artistes, rendons hommage au génie.
Cela nous excuse de n'être pas
créateurs, sans nous avouer que nous ne voulons simplement pas faire le travail patient auquel s'astreint celui
qui nous paraît génial.
Mais, alors que Kant estimait que l'artiste, inspiré par son génie, ne peut pas concevoir d'oeuvres en suivant un
plan qu'il s'est donné, comme si toute idée de procédé était étrangère à l'artiste, certains d'entre eux se
réfèrent explicitement à leurs procédés d'expression.
Van Gogh écrit qu'il cherche à « exprimer la pensée d'un
front par le rayonnement d'un ton clair sur un fond sombre ».
Cézanne va plus loin encore dans le même sens :
« Pour l'artiste, voir c'est concevoir, et concevoir, c'est composer.
Car l'artiste ne note pas ses émotions
comme l'oiseau module ses sons : il compose [...].
Il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône,
le tout mis en perspective.
»
Ce débat reste inscrit à l'intérieur d'une tradition issue de la Renaissance, selon laquelle est appelé artiste
l'auteur d'oeuvres originales et uniques dignes d'être contemplées pour elles-mêmes.
Mais quel est l'objectif de
cette contemplation, si elle n'a pas de but utilitaire ? Susciter le sentiment du beau serait-il le but propre de
toute oeuvre d'art ?
Il s'agit de se demander si le travail opéré dans la création artistique peut ressembler à celui qui est réalisé dans le
travail technique, est-ce que les mêmes procédés sont à l'œuvre, est-ce les mêmes matériaux ? Qu'est-ce qui
différencie un tailleur de pierre d'un sculpteur ? Parfois le travail technique peut être inclus dans une œuvre d'art,
ces mêmes tailleurs de pierre peuvent participer à la construction d'une cathédrale.
Les corps de métiers de
l'artisanat peuvent participer ensemble à la construction d'un objet d'art.
Pour réaliser un meuble, il faut plusieurs
corps de métier : marqueterie, ébénisterie, ferronnerie d'art etc.
Aussi les métiers techniques sont sollicités pour la
création artistique.
On voit que la part de création peut apparaître diminuée à la vue de toutes les aides techniques.
Bien sûr, cela apparaît comme une évidence dans l'architecture, les arts décoratifs, la sculpture, cela apparaît moins
clair pour la peinture et complètement différent pour la littérature, la musique qui ne produisent pas quelque chose
de matériel, qui ne font pas appel à des savoir-faire artisanaux
1) Le travail technique et artisanal a fait évoluer l'art.
L'art est une production technique comme les autres notamment en architecture où ce sont les ingénieurs qui sont
véritablement artistes.
Ainsi les constructions en fer, l'assemblage de poutrelles métallique peut permettre de
réaliser de véritable œuvre d'art comme la Tour Eiffel.
Les innovations techniques elles-mêmes peuvent être l'origine
d'œuvre d'art nouvelle.
Le passage de l'art roman à l'art gothique, comme l'introduction du fer dans la construction a
permis la naissance de nouveaux styles artistiques.
L'art gothique se caractérise par une étroite association du
verre et de la pierre, elle joue comme l'architecture de fer sur les vides et non sur les pleins.
L'ogive dans l'art
gothique est très déterminante car elle donne la possibilité de réduire l'épaisseur du mur et de percer de larges baies
qui diffusent une lumière vivifiée par le verre.
Les églises gothiques cherchent à rompre avec l'obscurité romane, de
la manière, les édifices de l'architecture de fer concentrent leurs efforts à la création d'espaces clairs et plus aérés
que les édifices de pierre.
La prédominance des verticales, la prédominance des vides sur les pleins, et la légèreté
de l'ossature apparente firent espérer que naîtrait un style en qui revivrait, l'essentiel du génie gothique, rajeuni par
un esprit et des matériaux neufs .
Par exemple, le fer a l'avantage d'augmenter les portées de piliers, des voûtes et
d'augmenter la taille des édifices, que ce soit du point de vue de la hauteur des tours ou des nefs.
Ainsi des
innovations techniques ont été à l'origine de nouveaux styles architecturaux, le passage du style roman au style
gothique en est la preuve.
Aussi, dans cette perspective pour être artiste véritable, il faut être artisan.
2) La séparation progressive de l'artiste et de l'artisan.
L'« artiste » médiéval (qui n'était pas ainsi nommé) est un ouvrier spécialisé.
Comme tel, il trouve sa place dans le
système des corporations et son activité relève des « arts mécaniques », par opposition aux « arts libéraux » qui
sont des savoirs.
À l'âge de la Renaissance et du classicisme, le peintre et le sculpteur demeurent des techniciens.
Certains d'entre eux accèdent cependant au rang d'intellectuels, pour autant que l'on reconnaît qu'ils coopèrent.
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