En quoi la réflexion sur les sciences nous instruit-elle sur l'esprit humain ?
Extrait du document
«
L'esprit et les sens dans l'acte de connaître
D'où viennent nos connaissances ? Dérivent-elles toutes des sensations ?
Le fait, comme le dit Leibniz, que des notions telles que l'être, l'un, le même, la cause, etc., ne peuvent nous avoir
été fournies par les sens, prouve assez quelle est la part active de l'esprit dans l'acte de connaissance.
L'épistémologie moderne a fortement souligné que l'attitude de l'expérimentateur, face aux objets qu'il étudie, est
celle d'un homme qui provoque et questionne la nature, bien plus qu'il ne l'observe passivement.
Caractère transitoire de nos «vérités»
C'est en pensant contre l'expérience première que des pionniers (tels Copernic et Galilée) ont fait accéder leur
discipline à l'âge scientifique.
De même, quand la science est une fois constituée comme telle, c'est en pensant contre les connaissances
antérieures qu'un Priestley ou un Einstein provoque ce que Bachelard a appelé une «rupture épistémologique».
Chaque science apparaît ainsi comme «une suite d'erreurs rectifiées» (Bachelard, Le Rationalisme appliqué, 1949).
Philosophe, épistémologue, critique littéraire, BACHELARD est tout
autant un penseur, un savant qu'un poète.
Son oeuvre comporte deux
versants : la réflexion sur les sciences et le poétique.
Pourquoi cette
dualité au sein de son oeuvre ? tout simplement parce que, de l'aveu du
philosophe, « un homme ne saurait être heureux dans un monde stérilisé
».
Ce qui signifie que l'esprit scientifique exige un véritable ascèse où
l'esprit ne saurait trouver une satisfaction entière.
D'où le besoin de «
recourir aux poètes » et de se mettre à « l'école de l'imagination ».
Ainsi, dans « La psychanalyse du feu », BACHELARD analyse de manière
poétique les fantasmes liés au feu, dans leur joie brûlante.
Au même
moment, dans « La formation de l'esprit scientifique : contribution à une
psychanalyse de la connaissance objective » (1938), il s'applique à
montrer comment les fantasmes constituent un obstacle à la
connaissance scientifique.
C'est dans cet ouvrage qu'on peut lire : « En
revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable
repentir intellectuel.
En fait on connaît contre une connaissance
antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant
ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.
»
« Revenir sur un passé d'erreurs, trouver la vérité en un véritable
repentir intellectuel », cela signifie d'abord que la connaissance
scientifique ne se fait pas ex nihilo.
Elle se fait toujours « contre une
connaissance antérieure », cad par la destruction « des connaissances mal faites » : « Face au réel, ce qu'on
croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir.
Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit
n'est jamais jeune.
Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés.
accéder à la science, c'est
spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.
»
L'esprit scientifique ne peut donc se former que par une rupture radicale avec les préjugés et plus
généralement avec tout ce que l'on croyait savoir.
Pourquoi une rupture radicale ? Parce qu'on ne détruit pas
les erreurs une à une facilement.
Elles sont solidaires, coordonnées.
L'erreur n'est pas simple privation ou
manque, elle est une forme de connaissance.
L'esprit scientifique ne peut, selon une formule de BACHELARD, «
se former qu'en se réformant », cad en détruisant l'esprit non scientifique.
D'emblée, l'esprit scientifique est contraire à l'opinion, cad à la connaissance commune.
Fondée sur notre
perception immédiate des choses ou sur l'ouï-dire, liée à notre tendance à ne retenir des choses que ce qui est
utile à la vie, l'opinion est incertaine.
Elle ne peut donc qu'entraver la recherche de la vérité et le scientifique
ne doit pas se contenter de la rectifier sur des points particuliers, il doit la détruire : « La science, dans son
besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion.
s'il lui arrive, sur un point
particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que
l'opinion a, en droit, toujours tort.
L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en
connaissances.
»
Le scientifique doit même s'interdire d'avoir des opinions sur des questions qu'il ne comprend pas, sur des
questions qu'il ne sait pas formuler clairement.
Car avoir une opinion, c'est déjà répondre avant même d'avoir
trouvé la question.
Or ce qui caractérise avant tout l'esprit scientifique, c'est le sens du problème : « Avant
tout, il faut savoir poser des problèmes.
Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent
pas d'eux-mêmes.
»
Même une connaissance acquise par un effort scientifique n'est pas définitive et doit être questionnée.
Des
manières de poser les questions, des habitudes intellectuelles qui furent utiles et saines à une époque, à un
moment de l'évolution de l'esprit scientifique, peuvent, à la longue, entraver la recherche.
L'acquis ou ce qu'on
croit acquis peut être un facteur d'inertie pour l'esprit.
En fait, les crises de croissance de la pensée impliquent une refonte totale du système de savoir.
Il suffit, pour
s'en convaincre, de citer par exemple : le passage de la théorie mécanique de Newton, qui était, pourtant,
bien assise, à la théorie de la relativité qui remit tout en cause et qui suscita des questions qu'on ne pouvait
même pas imaginer avant.
La théorie de Newton était un système bien homogène, qui avait permis d'unifier les
lois planétaires de Képler et la loi de la chute des corps de Galilée en expliquant le trajet elliptique des planètes.
»
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