En quoi la notion de personne vous semble-t-elle se distinguer de celle d'individu
Extrait du document
«
L'emploi des mots personne et individu n'est pas sans confusion dans le langage commun et ils sont souvent pris l'un
pour l'autre.
C'est le mérite d'une école de penseurs, dont les conceptions constituent l'un des courants
philosophiques les plus importants de notre époque, que d'avoir voulu la dissiper.
Ils se sont efforcés non seulement
de distinguer radicalement les termes personne et individu, mais de montrer que sous eux on découvre deux
attitudes morales qui s'opposent absolument, le personnalisme, d'une part, qui désigne la doctrine de ces penseurs,
et, de l'autre, l'individualisme, qui, s'il s'est rarement systématisé en une doctrine, représente une conduite de vie
tellement répandue qu'on a pu dire qu'elle avait dominé la société bourgeoise française depuis la fin du XVIIIe siècle
jusqu'à nos jours.
La signification du mot individu dans le langage ordinaire est empruntée à la biologie, plus particulièrement à la
zoologie, au sens où déjà Buffon l'opposait à l'espèce : « Un individu, de quelque espèce qu'il soit, n'est rien dans
l'univers, cent individus, mille ne sont encore rien.
» En tant que tel, on entend par individu tout corps vivant
anatomiquement isolé et fonctionnellement autonome.
Par suite, l'individu humain est considéré comme ayant une
réalité propre par rapport à l'Etat ou à la société.
Ce n'est que plus tard, à la suite de certaines outrances
romantiques littéraires ou philosophiques, que s'est rattachée à la notion d'individu celle d'individualisme, prise dans
une acception d'égocentrisme délibéré ou d'anarchie intransigeante ; appellation péjorative, même si certains
écrivains comme Nietzsche ou Max Stirner ont pu s'en targuer et s'opposer farouchement à toutes les valeurs
établies.
Quant au mot personne, il a sans doute désigné d'abord une notion juridique qui a son origine dans le droit.
Il se dit
de quelqu'un qui a une existence civile et qui a des droits, par opposition à l'esclave qui est sans droits.
Sous le nom
d'homme, la célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a fait passer l'idée de personne du plan
exclusivement juridique au plan politique, tout en sous-entendant de fortes résonances morales.
C'est avec Kant,
comme nous le verrons, que la notion a pris une signification proprement philosophique.
Mais elle a été orientée de
nos jours vers un spiritualisme d'inspiration chrétienne, avant tout sous l'action d'Emmanuel Mounier qui a donné au
mouvement personnaliste, ainsi qu'il l'a lui-même dénommé, une vigoureuse impulsion.
Il y a parenté et continuité
entre le personnalisme avant la lettre de Kant et celui de Mounier comme des autres personnalistes contemporains,
et s'il est légitime de chercher dans le christianisme et en particulier dans les textes évangéliques, les origines
primaires de l'idée morale de personne, et Kant ne l'aurait certainement pas contesté, on peut regretter que les
personnalistes, plus ou moins hostiles au rationalisme dans l'ordre de la philosophie morale, n'aient pas reconnu le
mérite de leur prédécesseur qui, en laïcisant la notion, lui a indiscutablement conféré son statut philosophique.
Nous nous proposons donc, en suivant dans les grandes lignes, ce processus historique, de dégager les éléments
composants de la notion de personne, en mettant l'accent en même temps sur les traits constitutifs qui, de ce point
de vue, caractérisent par opposition la notion d'individu et nous serons alors mieux à même de fonder la distinction
entre les deux notions et d'en montrer la portée.
***
Il n'est pas douteux que la notion de personne est, comme le note Maritain, une notion « d'indice chrétien », qui
s'est précisée par la réflexion théologique.
Plus exactement elle se réfère à la tradition judéo-chrétienne, qui la
fonde sur l'amour universel des hommes, car déjà de nombreux textes de L'Ancien Testament (Lévitique,
Deutéronome, Isaïe, etc.) ou rappellent le commandement fondamental : Tu aimeras ton prochain comme toi-même,
y compris l'étranger, ou prescrivent de secourir l'orphelin, la veuve, l'opprimé, de partager le pain avec l'affamé,
d'héberger le pauvre sans abri.
Mais les Evangiles ne font pas que reprendre ou accentuer le devoir de charité
universelle.
D'abord ils identifient l'amour du prochain à l'amour pour Dieu : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de
tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit.
» C'est là le plus grand et le premier commandement.
Et voici le second qui est le même que le premier : « Vous aimerez votre prochain comme moi-même » (Mathieu).
Et
ce prochain c'est tout homme.
« Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tune haïras que ton
ennemi Et moi je vous dis : aimez vos ennemis...
car si vous aimez ceux qui vous aiment, quel mérite avez-vous ? »
(Mathieu).
De plus, et c'est là le point essentiel, les Évangiles affirment l'égalité des âmes, ce qui est tout autre chose que la
fonction exercée dans la cité et la position dans la hiérarchie sociale.
« Gardez-vous, dit saint Jean, fidèle interprète
du Maître, de toute acception de personne dans votre foi à votre glorieux Seigneur Jésus Christ », car ce qui
importe, ce n'est pas l'apparence extérieure, mais l'intérieur, ce qui anime la conduite, au sens fort du mot :
L'intention.
D'où l'interdiction de juger, car l'avenir est toujours ouvert pour l'homme, pour la femme adultère, pour le
fils prodigue.
La hiérarchie sociale non seulement ne contredit pas cette égalité, mais il apparaît qu'y occuper la plus
haute place, c'est courir le plus grand risque du péché d'orgueil et du pharisaïsme, tandis que c'est d'un Samaritain
de race méprisée que vient le secours.
« Celui qui s'élève sera abaissé, celui qui s'abaisse sera élevé.
» L'humanité
est la vertu essentielle, elle se traduit par l'esprit de simplicité dont les enfants sont à travers tous les Évangiles le
symbole.
***
Mais dans les Évangiles l'idée de l'égalité des personnes ne se présente que sous forme de prédication et
d'exhortation : traiter tous les êtres humains comme des hommes et des égaux.
C'est Kant qui a fait de la personne
une notion proprement philosophique.
Il est certain qu'élevé au sein d'une famille appartenant à une secte
protestante très rigoureuse, le piétisme, Kant a longuement et profondément exercé sa réflexion sur les grands.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- En quoi la notion de personne vous paraît-elle se distinguer de celle d'individu ?
- FAUT-IL DISTINGUER LE CITOYEN DANS L'ÉTAT ET L'INDIVIDU DANS LA SOCIÉTÉ ?
- Faut-il distinguer le citoyen dans l'état et l'individu dans la société ?
- Princesse de Clèves: individu et libération
- Notion de la technique (résumé)