En quoi la machine offre-t-elle un modèle pour penser le vivant ?
Extrait du document
«
Introduction
C e sujet propose aux sciences de la nature un modèle mécanique, et fait reposer tout son enjeu sur l'ambiguïté de cette notion de modèle.
Le modèle peut
en effet se comprendre en un premier sens comme modèle d'intelligibilité, c'est-à-dire comme modèle pour comprendre, au sens d'une analogie.
Mais
l'analogie peut se muer en une comparaison, qui confronte un comparant à un comparé.
Le comparant n'est pas seulement un modèle pour comprendre, mais
il pose aussi un devoir-être, un modèle normatif.
Le « en quoi » pose précisément cette question des limites et des fondements de la relation de modèle : le
modèle doit-il être modèle d'intelligibilité ou modèle normatif
Lignes directrices
I.
La machine offre un modèle d'intelligibilité éclairant pour déplier ce dedans qu'est le vivant.
On peut ici penser aux automates de Vaucanson, qui ont fait
progresser l'anatomie.
Faute de pouvoir commodément ouvrir un corps, il est plus facile d'ouvrir l'automate qui devient alors modèle d'intelligibilité du vivant
: le coude de l'automate permet de comprendre le coude humain.
C ette thèse est solidaire d'un modèle mécaniste du vivant.
2.
Les limites de l'analogie : le modèle d'intelligibilité ne doit pas se muer en modèle normatif sous peine d'être réducteur.
En effet, la relation de cause à
effet ne suffit pas à rendre raison du vivant, la notion de finalité venant ici poser une limite à ce modèle déterministe.
Le modèle kantien de la montre et ses
limites en témoignent ; le vivant est un être organisé, mais aussi un être s'organisant lui-même.
3.
La machine comme devoir-être : l'usage d'une telle analogie recouvre une volonté de réduire le vivant en vue d'une certaine fin concernant l'homme :
c'est en effet sur l'homme et sa définition que ce modèle et son application ont les conséquences les plus spectaculaires.
Quand l'homme devient un
comparé, un manipulandum (Merleau-Ponty), l'idéal de l'intelligence artificielle s'impose à plein, qui vide les sciences humaines de leur objet.
« La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.
» Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, 1800.
« La vie est l'ensemble des fonctions capables d'utiliser la mort.
» Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée, 1979.
« La faculté d'un être d'agir selon ses représentations s'appelle la vie.
» Kant, Doctrine du droit, 1797.
« La vie apparaît comme un courant qui va d'un germe à un germe par l'intermédiaire d'un organisme développé.
» Bergson, L'Évolution créatrice, 1907.
C e courant, c'est précisément l'élan vital, qui se transmet d'individu à individu, de génération à génération, d'espèce à espèce en s'intensifiant toujours
davantage et en créant perpétuellement de nouvelles formes, plus complexes que les précédentes.
« Je suppose que le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre [...].
Dieu met au-dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire
qu'elle marche, qu'elle mange, qu'elle respire...
» Descartes, Traité de l'homme, 1662 (posth.)
« Chaque corps organique d'un vivant est une espèce de machine divine, ou d'automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels.
»
Leibniz, La Monadologie, 1721 (posth.)
« Lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges.
» Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle, 1646.
« Mettez une machine de chien et une machine de chienne l'une auprès de l'autre, et il en pourra résulter une troisième petite machine, au lieu que deux
montres seront auprès l'une de l'autre, toute leur vie, sans jamais faire une troisième montre.
» Fontenelle, Lettres galantes, 1742.
« La pensée du vivant doit tenir du vivant l'idée du vivant.
» Canguilhem, La Connaissance de la vie, 1952.
« La vie est [...] la liberté s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit.
» Bergson, L'Énergie spirituelle, 1919.
La vie, pour Bergson, tranche radicalement sur la matière.
Le monde matériel obéit à des lois immuables et nécessaires.
Dans ce monde régi par le
déterminisme le plus strict, le vivant introduit l'indétermination et la spontanéité ; d'une façon toujours imprévisible, il « se nourrit» en effet de la matière
pour la transformer à son profit.
« Dieu et la Nature ne font rien en vain.
» Aristote, Du ciel, ive s.
av.
J.-C.
« La biologie moderne a l'ambition d'interpréter les propriétés de l'organisme par la structure des molécules qui le constituent.
» François Jacob, La
Logique du vivant, 1970.
« Toutes les propriétés de la matière vivante sont, au fond, ou des propriétés connues et déterminées, et alors nous les appelons propriétés physicochimiques, ou des propriétés inconnues et indéterminées, et alors nous les nommons propriétés vitales.
» Claude Bernard, Introduction à l'étude de la
médecine expérimentale, 1865.
L'élan vital n'est invoqué, selon C laude Bernard, que pour expliquer les phénomènes obscurs et inexplicables, dont la physique et la chimie sont incapables
de rendre compte : « quand nous qualifions un phénomène de vital, cela équivaut à dire que c'est un phénomène dont nous ignorons la cause prochaine ou
les conditions ».
« On voit dans les plantes mêmes les choses utiles se produire en vue de la fin, par exemple les feuilles en vue d'abriter le fruit.
» Aristote, Physique, Ive
s.
av.
J.-C.
Le finalisme postule que la nature ne fait en rien en vain, que tout ce qu'elle produit existe en vue d'une fin.
A insi, tous les organes de la plante s'expliquent
par le fait qu'ils visent chacun un but précis, qui participe à la survie ou à la reproduction de la plante.
Si la forme des feuilles est adaptée à la protection du
fruit, c'est bien que cette protection constitue la « cause finale » (ou la fin) des feuilles.
« A ucun organe de notre corps [...] n'a été créé pour notre usage; mais c'est l'organe qui crée l'usage.
» Lucrèce, De la Nature, nef s.
av.
J.-C..
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