En quoi consiste le génie créateur ?
Extrait du document
«
L'étymologie du mot génie nous renvoie au mot latin genuim qui signifie divinité.
C'est dire à quel point les
manifestations du génie créateur ont pu surprendre les gens du commun, qui par définition, si l'on peut dire, n'ont
pas de génie.
Pour eux, le créateur invente à partir de rien.
Cette conception se retrouve encore dans certains
manuels de littérature ou chez certains historiens.
Les « grands hommes sont définis par leur ascendance », par leur
formation et leur culture, mais ces éléments ne suffisent pas à expliquer leurs créations; on ajoute qu'un pouvoir
surhumain semble leur appartenir dès la naissance.
C'est ce pouvoir qui serait le génie.
Et pourtant cette description sommaire heurte le bon sens.
Peut-être a-t-il fallu une aide surnaturelle au poète pour
qu'il trouve la forme convenable aux idées qu'il exprime ou ces idées elles-mêmes, mais il n'en reste pas moins que
ces idées, cette forme, nous touchent et nous touchent parce qu'elles sont humaines.
Le génie créateur, dans
l'exemple que nous avons choisi c'est le pouvoir, mystérieux peut-être, que détient un homme, et qui lui permet de
se faire comprendre par tous.
L'homme de génie en fin de compte n'apparaît pas différent des autres hommes, mais
plus humain qu'eux, ayant porté à ses limites si l'on peut dire, la possibilité d'être un homme.
Le génie créateur comporte un pouvoir de compréhension accru et inhabituel.
Le poète ainsi parvient a exprimer les
sentiments qui sans lui resteraient incommunicables; le savant découvre leur rapport qui jusqu'à lui était resté
caché.
Cette connaissance qu'on a voulu définir comme absolue et en même temps comme absolument nouvelle n'
semble pas du ressort de l'intelligence.
Aussi un certain nombre de penseurs ont référé le génie au coeur, à
l'affectivité.
S'il s'agit des sciences par exemple, le génie créateur se révèle par des intuitions qui, sans doute, se
trouveront développées par la suite, en rapports médiats, mais qui, dansa le feu de la création », comme on dit,
sont immédiates.
Dans le vocabulaire de Pascal le génie créateur renverrait davantage à e l'esprit de finesse » qu'à
e l'esprit de géométrie ».
La psychanalyse a contribué à diffuser une définition à peu près semblable du génie.
Il serait « sublimation », c'està-dire transposition d'un instinct fondamental qui ne trouverait pas à se réaliser dans le monde et qui se créerait un
univers fictif mais finalement plus vrai et plus valable.
Le génie serait voisin de la névrose.
Ainsi s'explique la
persistance des considérations souvent vagues qui rapprochent le génie de la folie.
La sublimation : le cas de Léonard de Vinci
La sublimation est une des notions qui ont le plus retenu l'attention en dehors même de la psychanalyse parce
qu'elle semble susceptible d'éclairer les activités dites « supérieures », intellectuelles ou artistiques.
Pour cette
raison même, sa définition est incertaine, chez Freud lui-même, parce qu'elle fait appel à des valeurs
extérieures à la théorie métapsychologique.
Le mot même évoque bien
entendu la grande catégorie morale et esthétique du sublime, mais aussi
la transformation chimique d'un corps quand il passe de l'état solide à
l'état gazeux.
Peut-être pouvons-nous en tirer l'idée d'élévation depuis
les bas-fonds (sexuels ?) de l'âme jusqu'à ses expressions les plus
élevées.
La psychanalyse ferait alors le mouvement inverse de celui que
lui assignait Freud quand il choisissait comme épigraphe à
L'interprétation des rêves, le vers de Virgile dans l'Énéide : « Flectere si
nequeo superos, Acheronta movebo » (« Si je ne peux fléchir les dieux
d'en haut, j'ébranlerai ceux de l'enfer »).
Freud va jusqu'à utiliser
l'expression paradoxale de « libido désexualisée », éloignée des buts et
objets sexuels.
Notons cependant que ce n'est pas « l'instinct sexuel »
unifié qui est ainsi sublimé.
La sublimation est essentiellement le destin
des pulsions partielles, c'est-à-dire celles dont l'issue aurait pu être la
perversion ou la névrose.
Freud n'a guère précisé le domaine de la
sublimation en dehors des activités scientifiques ou artistiques.
Dans le
Malaise dans la civilisation il semble lui rattacher les activités
professionnelles quand elles sont librement choisies.
D'autre part, il
considère comme une forme de sublimation les formations réactionnelles
c'est-à-dire ces barrières élevées contre les pulsions, consolidées
pendant la période de latence par l'éducation, mais qui tirent leurs
forces de la libido elle-même.
Ainsi se forment les traits de caractère : «
Ainsi l'entêtement, l'économie, le goût de l'ordre découlent-ils de l'utilisation de l'érotisme anal.
L'orgueil est
déterminé par une forte disposition à l'érotisme urinaire » (Trois essais, p.
190).
Le processus de la sublimation
ne nous propose pas seulement une esquisse de caractérologie, mais plus généralement encore de la vie
éthique : « C'est ainsi que la prédisposition perverse générale d e l'enfance peut être considérée comme la
source d'un certain 'nombre de nos vertus dans la mesure où, par formation réactionnelle, elle donne le branle
à leur élaboration »(ibid., p.
190).
Cependant le texte principal sur la sublimation reste Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci (1910).
Le
souvenir est le suivant : « Je semble avoir été destiné à m'occuper tout spécialement du vautour, écrit
Léonard, car un des premiers souvenir d'enfance est qu'étant au berceau, un vautour vint à moi, m'ouvrit la
bouche avec sa queue et plusieurs fois me frappa avec sa queue entre les lèvres ».
Bien entendu ce récit peut
n'avoir aucune objectivité et être une reconstruction.
Or Freud ne dispose que d'un matériel fort réduit pour
interpréter cet unique souvenir d'enfance : quelques éléments biographiques peu sûrs, des textes et des
dessins des fameux Carnets et enfin surtout l'oeuvre artistique.
En fait Freud s'appuie sur la symbolique
dégagée par l'expérience psychanalytique et sur la symbolique des légendes et des mythes (en particulier de
l'Égypte ancienne concernant le vautour).
D'emblée il compare le souvenir au moins en partie reconstruit, avec.
»
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