En quels sens peut-on dire que l'historien fait" l'histoire?"
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«
Termes du sujet:
En quel sens: quelle est la signification, comment comprendre l'expression et donc éviter un contresens: dans
quelles limites peut-on accepter ce dire?
HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit
l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie).
L'historien fait l'histoire : une telle proposition.
suivant le point de vue auquel on la considère, peut apparaître
comme évidente, ou au contraire comme totalement inintelligible.
Le simple bon sens fera remarquer que l'histoire,
comme toute production culturelle humaine, n'apparaît pas spontanément; comme toutes les autres sciences (si
tant est que l'histoire se veuille "scientifique" ).
elle est le fruit du travail patient de spécialistes.
L'historien ne
contestera pas ce point, mais rétorquera que l'historien ne fait pas du tout l'histoire, si « faire m signifie créer,
fabriquer; car le matériau historique : le passé et les documents qui témoignent de ce passé, existe bien avant
toute intervention de l'historien.
Certains - parmi lesquels des historiens - préféreront dire que l'historien "retrace"
ou "étudie" l'histoire.
Sous cette apparente contradiction se cache d'abord (bien que pas uniquement) un malentendu à propos de la
terminologie : aussi courant que soit le vocable histoire, son sens n'est pas clair du tout.
Il faudra distinguer entre
plusieurs acceptions.
Mais une grande ambiguïté pèse également sur le contenu qu'il faut donner au terme faire dans
l'expression "faire l'histoire".
On verra que, sur cette question, il ne suffira pas de réfléchir au niveau du vocabulaire.
Il n'y a guère d'ambiguïté au sujet de la personne de l'historien: nous désignerons par ce mot le chercheur qui se
penche sur l'étude et la connaissance de l'histoire.
Du chroniqueur au savant, s'est petit à petit constituée la figure
d'un spécialiste, qu'on n'hésite pas aujourd'hui à ranger dans la « communauté scientifique ».
Beaucoup plus
dangereux est le terme - apparemment sans piège - d'histoire.
Une insuffisance du langage (mais cette insuffisance n'est-elle pas significative?) nous fait utiliser le même mot pour
la connaissance et pour l'objet réel de cette connaissance.
« Histoire » signifie aussi bien le passé humain,
l'ensemble des événements qui se sont déroulés dans ce passé, que la connaissance que nous prenons dans le
présent de ce passé.
Nous avons un mot pour désigner le vivant et un autre pour nommer la science qui étudie ce
vivant : la biologie ; cette dualité se retrouve dans de nombreux cas (nature/physique, Terre/géographie,
fossiles/paléontologie.
etc.), mais elle fait défaut pour l'histoire.
Le risque de malentendu est donc grand si l'on tient
un discours sur l'histoire sans lever cette ambiguïté.
Certains historiens, conscients de ce risque (plus ou moins présent dans toutes les langues).
ont proposé des
termes ou expressions nouveaux.
Dans De la connaissance historique, Henri-Irénée Marron propose de séparer
réalité historique et connaissance historique, que Hegel désignait respectivement par histoire objective et histoire
subjective.
Munis de cette distinction, qui pour ne concerner que les mots, n'en est pas moins fondamentale, nous pouvons
revenir à la question initiale.
Le passé est achevé, figé pour jamais dans ce qu'il a été.
Aristote faisait déjà remarquer que même Dieu, dans sa
toute-puissance, ne peut faire que ce qui a été n'ait point été.
Au sens
grammatical.
le passé est le parfait, du latin perfectus : achevé.
La réalité
historique est ce qu'elle est - ou plutôt ce qu'elle a été (en un sens, elle n'est
plus du tout) - et personne ne peut y changer le moindre détail.
Il échappe
au pouvoir de l'historien, comme de quiconque, de faire, c'est-à-dire de
refaire, l'histoire objective.
Aucune tentative de falsification n'y changera rien; un régime totalitaire peut
bien, s'il en a les moyens, censurer les livres d'histoire, afin d'ensevelir dans
l'oubli des moments peu glorieux de son passé : le passé figé dans son
éternité est hors d'atteinte de ces coups bas.
Les historiens soviétiques
proposent aujourd'hui des manuels d'histoire de l'URSS où ne figure pas une
seule fois le nom de Staline ; nos livres sont encore aujourd'hui presque
muets sur le passé colonial européen des pays du tiers monde.
passé qui
contribue à comprendre leur misère actuelle.
Si l'on entend par histoire le
passé, c'est-à-dire ce que Marron appelle la réalité historique, alors l'historien
peut faire qu'on oublie l'histoire, mais il ne peut faire l'histoire, parce qu'il ne
peut la défaire.
Face à cette histoire objective « en soi » (Marron utilise aussi l'expression
kantienne d' « histoire nouménale »), que doit être l'histoire comme
connaissance? Quels buts l'historien doit-il assigner à sa science (l'histoire
subjective, au sens hégélien), dans le traitement de l'histoire objective ?
Tout un courant historique a longtemps recommandé - et même commandé - à l'historien de s'effacer devant son
objet : le passé.
Marron mentionne, pour les critiquer, tous ces historiens qui voulaient que l'histoire ne fût que pure
narration de faits ; pour eux, l'histoire existait déjà, avant même le travail du savant, ensevelie dans les documents
; le rôle de l'historien se réduisait donc à une analyse la moins personnelle, la plus neutre possible, analyse au terme
de laquelle l'historien produirait le pur passé, le donnant à voir au public.
Une telle conception de l'histoire fait de
l'historien l'humble et discret serviteur des époques passées dans la présente.
un simple rapporteur.
prié de rendre
compte passivement des faits.
Au fond, l'historien est nécessaire à l'histoire (il faut bien quelqu'un pour dépouiller les
documents).
mais l'irruption de sa subjectivité est un risque permanent pour la valeur de son travail.
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