En quelle mesure dépend-il de nous de croire ?

« CONSEILS On n'entrera pas dans le détail des doctrines — intellectualistes, volontaristes — de la croyance.

On s'efforcera, par une analyse directe des conditions dans lesquelles naît une croyance, de faire la part de ses facteurs impersonnels et de ' ses fadeurs personnels. Introduction. Notre ardeur à défendre nos convictions, les réactions souvent passionnées de l'homme contredit, semblent attester que la croyance exprime notre personnalité intime plutôt qu'une considération objective et désintéressée des choses.

Du reste, on tient volontiers l'individu pour responsable de son erreur : on frappe l'hérétique comme s'il avait choisi sa foi.

Pourtant croirions-nous, si ce que nous croyons ne nous apparaissait vrai ? La discussion même ne consiste-t-elle pas à exhiber des raisons qui devraient emporter l'assentiment de tous ? Ne prétend-elle pas imposer une commune vérité à ceux que divisent d'ailleurs les préférences et les intérêts ? I.

— Toute croyance a des conditions objectives. L'impersonnalité de la croyance se mesure aux facteurs intellectuels qui la déterminent. a) Toute croyance a un contenu qui n'est pas arbitraire ; elle repose sur une expérience, se rapporte à un objet perçu, représenté, conçu.

Juger, c'est affirmer quelque chose de quelque chose.

Je ne pourrais affirmer que la Terre tourne, si la Terre ne m'était donnée dans une expérience qui s'impose à tous les hommes.

Considérée dans sa matière, la croyance ne dépend pas de moi. b) L'affirmation ne suppose pas seulement un objet ; elle se règle, dans sa qualité, sur les caractères de l'objet tels qu'ils apparaissent à l'esprit, dans l'instant où il juge.

J'affirme nécessairement que 2 et 3 font 5 dès que m'apparaît la relation des deux facteurs de la somme.

Je nie que le soleil soit levé tant que l'apparence du ciel m'interdit cette affirmation. c) La fermeté de l'affirmation varie suivant l'état de la représentation.

Ma croyance s'assure par la netteté de ma perception, de mon souvenir ; par la clarté dans laquelle je saisis les rapports logiques.

Je doute, si je comprends mal, si je vois confusément. II.

— Comment la tendance détermine la croyance. La croyance se règle donc sur des conditions objectives.

Elle engage pourtant notre personnalité, parce qu'elle dépend encore d'autres facteurs, qui peuvent être décisifs. L'inclination ne détermine pas immédiatement la croyance.

Telle conception économique ou politique, si elle était vraie, m'autoriserait à tenir pour assurés et légitimes la situation matérielle et le rang social qui sont les miens, et auxquels je suis attaché.

Mais l'homme diffère de la brute en ce qu'il ne peut croire expressément s'il ne se donne des raisons, solides ou spécieuses, de croire.

Aussi je n'affirme la thèse qui m'est chère qu'après avoir mobilisé mes ressources intellectuelles et fait l'appel des arguments propres à la fonder.

Or c'est l'attention qui évoque et retient dans le champ de la conscience les raisons de juger.

Mais l'attention, sous sa forme spontanée, est commandée par un intérêt direct.

C'est donc l'inclination qui la suscite et qui l'oriente vers les raisons propres à justifier la thèse, l'arrête sur ces raisons, la détourne des raisons contraires, qui sont méconnues, ou faussées dans leur signification. En ce sens, il est vrai de dire qu'on croit ce qu'on désire, et parfois ce qu'on craint.

On ne juge que d'après ce qu'on voit des choses, mais l'inclination dirige et fixe l'attention et rétrécit la vision ; un examen partiel appelle un jugement partial.. »