En quel sens peut-on parler de compétence politique ?
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Il semble que dans le monde contemporain le politique soit de plus en plus jugé, évalué, en fonction de
« compétences » qui débordent justement la sphère politique : compétence en économie notamment ou en
communication.
Le politique moderne doit, semble t-il s'improviser expert en tout et n'importe quoi, or quelle
compétence fondamentale requiert l'activité politique, au-delà de celles régionales et de circonstance ?
Encore faut-il demander ce qu'on entend par compétence politique, cela a-t-il rapport avec l'efficacité
politique : changer et améliorer l'ordre social, ou bien avec la capacité pour le politicien de conserver le pouvoir ?
Auquel cas la compétence renverra plutôt à l'ordre du discours qu'à celui de l'action, aux coulisses du pouvoir plutôt
qu'à son apparaître.
I-La légitimité du politique ne s'est pas toujours fondé sur l'idée de compétence.
Si aujourd'hui les politiciens sont jugés et élus suivant que nous estimons leurs compétences à organiser une
politique pour résoudre les problèmes sociaux et exister sur un plan international, cet état de fait est récent et la
légitimité du politique s'est souvent fondée sur des bases bien plus arbitraires.
Comme l'écrivent Weber dans Le savant et le politique et Machiavel au début du Prince la légitimité des
gouvernants peut-être construite comme légitimité historique et traditionnelle (pouvoir monarchique).
La tradition est
alors ce qui justifie le politique, la règle est celle d'une passation de pouvoir familiale qui n'a pas à être discutée.
L'idée
même de compétence est alors secondaire, du moins en ce qui concerne la capacité à mener une politique pour le bien
commun (la compétence peut-être l'habileté à manœuvrer pour atteindre et conserver le pouvoir qui peut-être
considéré comme fin en soi).
Plus récente est la capacité du politique à conquérir le pouvoir à l'aide de sa personnalité charismatique (cf Le
savant et le politique).
La compétence est alors celle de l'orateur et la figure peut-être celle du démagogue voire
celles d'Hitler ou de Staline.
Avec le perfectionnement des médias et des techniques de communication cette
technique de séduction par le discours s'est affaiblie, à réentendre aujourd'hui un discours de Malraux on mesure
l'évolution de la manière de faire des discours depuis un demi siècle.
C'est désormais selon l'idée d'une efficacité que
sont évalués les politiques menées.
II-La compétence politique : l'art de se donner les moyens.
Mais s'il n'apparaît aux yeux de l'opinion que comme un banal technocrate, un expert parmi d'autres, le politicien
ne fait pas long feu.
Même dans notre monde moderne le discours a encore son importance et risquer d'apparaître tout
à fait transparent et honnête revient à épuiser son crédit auprès de l'opinion, il n'y a pas de politique au grand jour ou
alors ça ne dure pas.
Si le politique est évalué sur son efficacité encore faut-il qu'il commence par se donner les moyens de son
action, c'est-à-dire par asseoir sa légitimité.
On peut reprendre le mot de Machiavel selon qui le Prince doit être craint
pour être respecté et avoir les mains libres, adapté au monde moderne nous pouvons dire que le pouvoir peut, pour se
justifier, jouer sur nos craintes.
La pression est déplacée, le peuple ne craint plus le Prince mais ce que le Pouvoir lui
donne à craindre et qui le justifie.
Tout programme politique est aujourd'hui fondée sur cette méthode : mettre en
évidence une peur, que ce soit celle du chômage, de la mondialisation, du déclin des valeurs ou du réchauffement de la
planète.
Le politique doit se présenter et se faire valoir comme le seul responsable à même d'arranger les choses.
Il faut donc pour conquérir le pouvoir et asseoir sa politique une certaine dose de séduction, de persuasion,
de rhétorique qui passe aujourd'hui par l'usage des médias.
Déjà dans La République l'une des leçons de Platon est
qu'en matière de politique il faut nécessairement maintenir une dose de malignité, leçon qui n'est pas à la portée de
tous puisqu'elle heurte l'opinion.
Or les systèmes totalitaires ont montré au Xxe siècle combien étaient pernicieux et
meurtriers les politiques visant à établir le bonheur pour tous, le bien de chacun.
La politique n'est pas la mise en
œuvre d'une utopie ni d'une théorie politique.
III-La politique est un art du Kairos.
La compétence politique reste donc attachée à la capacité de persuader pour asseoir son autorité ou conquérir
le pouvoir.
Or comment définir plus précisément cette compétence de manière à ce qu'elle paraisse commune à toutes
les époques, qu'elle recouvre tout système politique ?
Il nous semble que la compétence politique doit d'abord être définie comme un art du Kairos, c'est-à-dire du
temps et non de l'action, de la forme plutôt que du contenu.
La compétence politique est virtuosité dans la
temporalisation des prises de décision et des discours.
Peu importe le dire ou l'agir en soi, ce qui compte c'est le
moment, dire ou agir au moment opportun, thèse contenue dans Le Prince.
Cette compétence permet autant de conquérir le pouvoir que de durer à sa tête et ne pas l'avoir est
handicapant.
Par exemple en 1974 Chaban Delmas est un des favoris pour l'élection présidentielle, avancée pour cause
de la mort de Pompidou, or les médias révélèrent que le premier avait commandé ses affiches électorales sitôt après la
mort du président ce qui choqua l'opinion, cet empressement fut perçu comme une maladresse et explique en partie
son échec à l'élection.
Conclusion :
La compétence politique doit être définie non en fonction du discours ou de l'action mais de la temporalité où ils
sont pris.
La politique est avant tout un art de saisir le bon moment, de ne pas se mettre à contre-temps.
Le politique
se laisse juger sur des compétences secondaires mais celle, dans l'ombre, fondamentale, et commune à tous les âges
est bien cet art du Kairos.
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