En quel sens peut-on dire que la science nous donne accès au vrai ?
Publié le 07/04/2023
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«
La science
En quel sens peut-on dire que la science nous donne accès au vrai ?
L’image traditionnellement et communément répandue de la science fait d’elle une
connaissance certaine et rationnelle portant sur la nature des choses et/ou sur leurs
conditions d’existence, et répondant à quelques critères précis.
On estime par exemple que le
scientifique se doit d’observer, pour commencer, des faits bruts, les faits « tels qu’ils sont ».
Il devrait, sans a priori, sans interprétation préalable, ouvrir ses sens et son esprit au
phénomène.
Il y a, à la base de la science, une recherche d’objectivité, plus ou moins entendue
comme « adaequatio intellectus et rei » (définition scolastique de la vérité : « accord de
l’esprit et de la chose »).
On cherche à établir les causes d’un phénomène, et les preuves de
leur existence une fois que l’on pense les avoir dégagées.
Ces causes doivent être universelles
et nécessaires, ce qui signifie que l’objet du scientifique (l’univers, la nature) est soumis à un
déterminisme strict permettant de voir en tout phénomène la résultante d’un ensemble de
conditions matérielles précises.
Partant de là, une science se doit d’être prédictive : puisque
les mêmes causes engendrent invariablement les mêmes effets, la connaissance des causes
permet de prévoir celle des effets.
Tout ceci est rendu possible par deux opérations : d’une
part la mathématisation, et d’autre part la confirmation expérimentale des hypothèses.
La
conjonction de ces deux opérations permettrait de considérer l’énoncé scientifique comme
démontré.
Ces aspects font de la physique « la reine des sciences » dans la mesure où elle est
née, sous sa forme moderne, lorsqu’on a eu l’idée de mesurer les faits observés, de
mathématiser l’expérience (cf.
Galilée et la chute des corps).
Si ces conditions sont réunies,
on considère classiquement que la science nous donne accès au « vrai ».
Mais ce modèle ne
demande-t-il pas à être interrogé ? L’évolution des sciences, corrélative de mutations
épistémologiques, permet-elle de s’en tenir à ce schéma ? Certaines observations factuelles
ne devraient-elles pas nous conduire à remettre en cause cette représentation ?
En effet, la réflexion épistémologique contemporaine a largement montré que bien des
critères de scientificité classiquement admis n’ont de valeur que très relative.
Par exemple, la notion de « fait brut » n’est pas sans poser problème.
En effet, on peut estimer
que le « fait » que le soleil tourne autour de la terre était considéré par les Anciens comme un
« fait brut », un simple constat « objectif ».
Cela suffit à montrer que ce que l’opinion appelle
naïvement un « fait brut » n’existe pas : l’expérience sensible est d’emblée investie d’une
foule de jugements qui s’ignorent.
C’est pourquoi Bachelard écrit que « dans la formation de
l’esprit scientifique, le premier obstacle, c’est l’expérience première, c’est l’expérience placée
avant et au-dessus de la critique » (La formation de l’esprit scientifique, Vrin, p13-14), c’est-àdire avant et au-dessus de toute analyse rationnelle et détaillée pour séparer le vrai du faux.
C’est aussi pourquoi « l’esprit scientifique doit se former contre la Nature, contre ce qui est
en nous et hors de nous, contre l’impulsion et l’instruction de la Nature, contre l’entraînement
naturel, contre le fait coloré et divers.
» (Ibid.) Ceci remet en cause la conception classique de
l’objectivité entendue comme « adaequatio intellectus et rei » : l’objet n’est jamais
passivement reçu, il est toujours construit.
Quand l’opinion croit « regarder les choses telles
qu’elles sont », le scientifique sait qu’il informe son objet.
Bachelard poursuit : « Déjà
l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder,
qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première
observation qui est la bonne.
» (Ibid.).
Et Bachelard d’ajouter : « Avant tout, il faut savoir poser
1
des problèmes.
Et quoi qu’on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas
d’eux-mêmes.
C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit
scientifique.
Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question.
S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique.
Rien ne va de soi.
Rien n’est donné.
Tout est construit » (Ibid.).
Loin de la naïveté de l’opinion, le scientifique sait
aussi que le résultat de l’observation est largement déterminé par la position de l’observateur,
par la nature des appareils utilisés, par les phénomènes d’aberration (astronomie, optique)
ou par les modifications induites dans l’objet par l’observation elle-même (artefacts).
De la même façon, il ne va pas de soi que le but ultime de la science soit de déterminer les
causes des phénomènes.
On peut en effet se demander si la finalité des sciences ne serait pas
de décrire simplement le comment des phénomènes et non d’en expliquer le pourquoi.
C’est
en tout cas la thèse du fondateur du positivisme, Auguste Comte.
Celui-ci écrit : « Le caractère
fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les phénomènes comme assujettis
à des lois naturelles invariables, dont la découverte précise et la réduction au moindre nombre
possible sont le but de tous nos efforts, en considérant comme absolument inaccessible et
vide de sens pour nous la recherche de ce que l’on appelle les causes » (Cours de philosophie
positive, t.
1, leçon 1).
Pour A.
Comte, la détermination des causes est l’affaire des théologiens
et des métaphysiciens, pas celle des scientifiques.
On peut en effet mettre au crédit de cette
thèse le fait que la physique soit véritablement devenue scientifique à compter du moment
où elle a cessé de se demander pourquoi les corps tombent pour se demander comment ils
tombent, c’est-à-dire lorsque au début du XVIIème siècle, Galilée a rompu avec le finalisme
aristotélicien adopté au Moyen-âge et la théorie de l’impetus adoptée à la Renaissance, pour
établir à l’aide de l’expérience les lois purement quantitatives de la chute des corps, et
montrer que la vitesse croît proportionnellement au carré des temps.
De la même façon, cette
étape majeure de l’histoire des sciences que constitue la découverte par Newton de la loi de
l’attraction universelle établit bien comment les corps s’attirent (de façon proportionnelle à
leur masse et inversement proportionnelle au carré de leur distance), mais non pourquoi ils
s’attirent.
On objectera que, dans l’hypothèse où le scientifique se désintéresserait effectivement des
causes, il s’attache néanmoins à établir les lois des phénomènes, c’est-à-dire des rapports
constants, universels et nécessaires entre des variables, et que dans la détermination de ces
lois résiderait la vérité de son discours.
Cette définition de la loi imposerait au scientifique
d’adopter un point de vue déterministe selon lequel tout dans l’univers est soumis à des lois
strictes qui ne laissent aucune place au hasard et permettent (ou permettraient, si toutes les
données étaient connues) une prédictibilité absolue.
Personne mieux que le physicien Laplace
n’a résumé cette position.
Il écrit en effet : « Nous devons envisager l’état présent de l’univers
comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va le suivre.
Une
intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée
et la situation respective des corps qui la composent (…) embrasserait dans la même formule
les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait
incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.
» (Essai
philosophique sur les probabilités, introduction, p2, 1840).
Cette intelligence omnisciente a
été baptisée « démon de Laplace ».
Néanmoins, l’apparition dans les années 1920, avec
Einstein, mais surtout Planck, Bohr, Heisenberg, De Broglie, etc., de la physique dite
« quantique », est venu bouleverser ce schéma.
Cette théorie, dont il ne s’agit pas ici de
2
rendre compte de façon exhaustive, est en partie fondée sur le « principe d’incertitude » (ou
d’indétermination) de Heisenberg, qui stipule que certaines paires de grandeurs physiques ne
sont simultanément mesurables qu’avec une précision relative : mieux on mesure l’une, plus
l’autre devient indéterminée.
Ainsi par exemple, on ne peut établir à la fois la position et la
quantité de mouvement d’un électron : plus une mesure est précise, moins l’autre l’est.
C’est
pourquoi De Broglie écrit : « Nous ne pouvons plus désormais dire "à tel instant, tel électron
se trouve à tel endroit " mais seulement " à tel instant, il y aura telle probabilité pour qu’un
électron se trouve à tel endroit" » (Physique et microphysique, 1947).
En conséquence de quoi
la physique doit composer avec un aléatoire radical conçu par certains comme inhérent à la
nature même du réel, qui fait d’elle une physique dite « probabiliste ».
Celle-ci doit
abandonner la prétention de pouvoir prédire avec certitude le comportement exact d’une
entité élémentaire prise individuellement.
A cela, la physique quantique ajoute que nous ne
pouvons observer la nature en soi dans la mesure où l’observation modifie inévitablement
l’objet à observer.
Ainsi, pour observer un électron, il faut nécessairement l’éclairer, c’est-àdire....
»
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