En quel sens peut-il y avoir égalité dans une société où règne la concurrence ?
Extrait du document
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Remarques générales sur l'énoncé
Telle qu'elle est formulée, la question repose sur une apparente antinomie qu'on peut expliciter sommairement : la
concurrence serait incompatible avec un certain type d'égalité.
Comment comprendre une telle incompatibilité, sinon
en retenant un certain sens pour chacune des deux notions en jeu?
Analyse de la question
• En tant que rivalité produisant une compétition entre plusieurs individus, la concurrence semble tout à la fois
appeler et présupposer des différences qui attesteraient supériorité ou infériorité des uns par rapport aux autres.
L'égalité, entendue comme identité, reste une abstraction tant qu'on ne définit pas le rapport sous lequel on
compare les individus (cf.
Platon, le Gorgias : la notion de supériorité n'a de sens qu'au regard d'un critère de
comparaison).
Ainsi, des individus inégaux sous un rapport peuvent être égaux sous un autre rapport, et la notion
de supériorité ne peut s'appliquer de façon absolue à la caractérisation abstraite d'un individu par rapport à un
autre.
La notion même d'égalité n'a pas de sens défini a priori, comme le montre la multiplicité des expressions où
elle figure : égalité juridique (en droit), égalité de condition, égalité devant la mort, égalité de fait, égalité formelle,
etc.
L'antinomie apparente de la concurrence et de l'égalité apparaît comme indéterminée tant qu'on ne précise pas
de quelle égalité il s'agit.
La réflexion, pour préciser le sens à retenir, devra prendre en compte la signification et les
implications de la concurrence dans la vie sociale.
• L'idée de concurrence possède un sens précis dans l'activité économique, au niveau des échanges.
Elle recouvre
la compétition entre individus (ou entre groupes) dans la production (ou dans la vente) de marchandises
spécifiques.
C'est dans un même domaine (par exemple la fabrication et la vente de véhicules automobiles) qu'il y a
concurrence.
A ce niveau, l'égalité ne peut pas vouloir dire autre chose que l'identité des règles que doivent
observer les concurrents (ainsi, la libre concurrence est incompatible avec les monopoles ou les ententes entre
producteurs).
Égaux devant la loi et observant les mêmes «règles du jeu », les concurrents se différencient les uns
des autres par la qualité de leurs produits ou par le dynamisme de leur commercialisation.
Toute faiblesse est
sanctionnée par un recul, voire une disparition.
• Le modèle économique de la libre concurrence a souvent été comparé avec le modèle biologique de la «lutte pour
la vie» et de la «sélection du plus apte» par la pression du milieu.
La « concurrence », dans ce domaine, joue
sur l'inégalité et contribue à l'aggraver.
Comme image des rapports entre les hommes dans la vie sociale, la
concurrence prend une signification plus générale qui déborde le plan strictement économique.
À travers l'exaltation
de la hiérarchie et le culte de l'affirmation individualiste, la concurrence est présentée comme le moteur de la vie
sociale.
La formation d'une telle idéologie s'accompagne de la disqualification des valeurs de l'égalité sociale, telles
que pouvaient les défendre des philosophes comme Platon ou Aristote (l'isonomia, égalité dans la différence) ou
Rousseau (qui solidarise liberté et égalité).
Il faut donc se demander si la concurrence ainsi entendue (c'est-à-dire sur le plan social) peut légitimement être
assimilée aux exigences de la vie économique (rôle des échanges) et, à ce titre, être opposable à l'égalité non
seulement juridique mais aussi sociale.
Par ailleurs, dans la mesure où la concurrence met en jeu des différenciations
initiales de condition, elle ne sanctionne pas seulement le mérite ou le travail ; elle tend plutôt à entériner des
inégalités qu'à les combattre.
Si le mot d'ordre «à chacun selon son travail» s'accommode d'une certaine
concurrence, il n'est pas intégralement appliqué tant que l'égalité des chances, ou des conditions de départ, n'est
pas réalisée.
On peut légitimement revendiquer le libre exercice de la concurrence dans le cadre d'une réelle égalité
des chances : en ce cas, les différences n'existent pas a priori - ce qui ne veut pas dire qu'aucune différenciation
ne se produira.
Par exemple, la société peut chercher à réaliser, pour ce qui dépend d'elle, l'égalité des enfants
devant l'école, ce qui implique un effort particulier pour que l'origine sociale ne prédestine pas l'enfant à l'échec ou à
la réussite; ce qui n'interdit aucunement une concurrence au sein de l'école.
Mais en redéfinissant les critères de
cette concurrence (le savoir, le mérite, etc.), on introduit une véritable mutation démocratique, comme le montrent
les principes de l'école républicaine : la sélection des meilleurs à partir de la promotion de tous.
Introduction
La concurrence économique est l'expression d'une force à l'œuvre dans toutes les sociétés, qui est aussi
politique, amoureuse, sportive...
Les mêmes hommes qui s'affrontent dans ces divers champs s'affrontent aussi dans
l'aire économique.
Mais les armes dont ils disposent et les contraintes qu'ils rencontrent varient avec leurs activités,
et la concurrence économique mérite une analyse particulière.
Pour l'économiste, la concurrence apparaît à la fois
comme cette force, plus ou moins omniprésente, et comme la règle de fonctionnement de certaines sociétés qui
voient en elle un mécanisme efficace rendant possible la vie en commun.
Ce mécanisme ne va pas sans de
nombreuses entraves que lui opposent ceux qui tentent de se soustraire à son action ; car, s'il est avantageux de
vivre dans un environnement concurrentiel, ceux qui peuvent en profiter sans en supporter les coûts n'hésitent pas
à le faire.
Il importe donc que la concurrence soit préservée par des institutions adéquates, institutions dont le
moteur d'action s'affirme dans l'égalité.
I.
Un droit démocratique à la concurrence
On peut dire que la logique de la concurrence, c'est l'égalité entre tous les membres de la société.
Pourtant, si
l'on regarde historiquement les démocraties, on constate que ce qui est le plus rare, c'est que cette égalité ait été
accordée.
Rien n'est plus fréquent, dans l'histoire, que de voir des minorités, à l'intérieur d'une société, accepter.
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