En quel sens la religion est-elle compatible avec la pratique démocratique ?
Extrait du document
«
« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme.
Plus
précisément : la religion est la conscience de soi et de sa valeur de l'homme qui ou bien ne s'est pas encore conquis
lui-même, ou bien s'est déjà perdu à nouveau.
Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait, installé hors du monde.
L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société.
Cet Etat, cette société produisent la religion, une
conscience du monde à l'envers, parce qu'ils sont un monde à l'envers.
La religion, c'est la théorie générale de ce
monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son
enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement général de sa consolation et de sa
justification.
Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de réalité
vraie.
La lutte contre la religion est donc immédiatement la lutte contre ce monde dont la religion est l'arôme
spirituel.
La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation cotre la misère réelle.
La
religion est le soupir de la créature tourmentée, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit de
situations dépourvues d'esprit.
Elle est l'opium du peuple.
» MARX.
1) L'homme fait la religion.
Sous forme d'une affirmation nettement désignée (« le fondement est celui-ci ») Marx
expose sa thèse : l'homme fait la religion.
Ce qui est plus largement en jeu : c'est le rapport entre l'homme et la religion.
Rapport de deux termes qui
logiquement rend donc possible deux positions.
Une position généralement admise, selon laquelle la religion fait
l'homme.
Une position qui critique ce point de vue et qui inverse les termes : « l'homme fait la religion ».
Critiquer revient ici à inverser, et Marx pense à rétablir.
Car ces deux positions sont contraires, et antagonistes.
Prendre position pour l'une, c'est prendre parti contre l'autre.
L'une des positions soutient la prééminence de la
religion, l'autre fonde la critique de la religion, est destinée à s'opposer à la religion, donc « critique irréligieuse » qui
met la religion à sa vraie place, non pas la première, mais la seconde.
Car le rapport : homme, religion, implique de toute manière une antériorité : qu'est-ce qui est premier ? Pour Marx,
c'est l'homme qui est premier.
Egalement une suprématie : qu'est-ce qui est supérieur ? Pour Marx, c'est l'homme qui
est supérieur.
Mais ce qui lie le rapport indissociable de l'homme et de la religion (la critique orientée contre la
religion ne la fera pas disparaître pour autant) est le verbe faire.
Et la question centrale est « qui fait ? » qui a le
pouvoir de faire ? Et pour élucider le faire il faut répondre à la question qu'est-ce que ? Doublement : qu'est-ce que
la religion ? Qu'est-ce que l'homme ?
2) Aussi faut-il définir en profondeur et l'homme et la religion.
La forme de la thèse (« l'homme fait la religion »)
implique donc que soient définis la religion et l'homme.
D'abord la religion.
Celle-ci n'existe que par l'homme, ce qui
justifie qu'on ne puisse pas la définir par elle-même, et qu'il faille au contraire recourir à l'homme.
Elle est dit Marx, «
la conscience de soi » de l'homme.
Non pas d ‘abord une institution (avec son clergé et ses rites) mais quelque
chose de l'ordre du penser (et non du faire).
L'homme qui se pense lui-même, qui pense « sa valeur », établit entre lui et lui-même, un écart.
C'est dans cet
écart que se loge la conscience, c'est dans cet espace immatériel que se situe la religion.
Tout au moins dans les
deux figures où l'homme ne s'est pas complètement approprié lui-même («l'homme qui ne s'est pas encore conquis
lui-même »), où l'homme s'est perdu à lui-même.
Pour l'homme qui s'est approprier lui-même, pour l'homme qui ne s'est pas perdu à lui-même, pour cet homme en
plénitude (plein de lui-même) il n'y a pas d'espace, d'écart à combler.
Dès lors la religion est inutile, elle n'a plus de
place.
Elle n'aura à nouveau de la place que si l'homme ai lieu de retrouver sans cesse, se perd à nouveau, laissant
dès lors un vide à combler.
Cependant l'homme dont on vient de parler avec sa conscience de soi est un homme abstrait.
Ce qui signifie aussi
bien l'homme en général, qu'on aurait pu écrire avec un grand H, qu'un homme non concret.
Le rapport de l'homme
et de la religion impose, qu'à l'opposé de l'homme abstrait, on évoque l'homme réel.
Car l'homme, c'est d'emblée un
rapport, celui qu'il entretient avec le monde : « l'homme n'est pas installé hors du monde », mai bien au contraire
dans le monde.
Ce monde dans lequel l'homme est immergé est son mode.
A tel point qu'il n'y a pas de différence
entre l'homme et le monde.
D'où la formule éclatante qui marque l'identité : « l'homme, c'est le monde de l'homme »,
et qu'on exprimerait peut-être aujourd'hui comme homme/monde.
Mais cette identité n'est pas donnée d'abord, elle
est un produit (donc produite dans une histoire), avec ses institutions : la société, l'Etat.
Identité (et non opposition) de l'homme et de ses institutions (l'Etat, la société), sans priorité de l'un sur les autres,
non par succession, mais plutôt cercle de l'engendrement mutuel : l'homme fait la société, comme la société fait
l'homme.
Mais la question n'est pas traitée ici en tant que telle.
Rappelons-nous la thèse de Marx : l'homme fait la
religion.
Dès lors, compte tenu de l'identité de l'homme avec l'Etat et la société, la thèse peut, à l'identique se
formuler : « l'Etat, la société produisent font] la religion ».
A compléter avec la formulation selon laquelle « la religion
est la conscience de soi et de sa valeur de l'homme ».
Dès lors, l'enchaînement des idées est le suivant : puisque la
religion est la conscience de soi de l'homme, on peut aussi bien dire que la religion (comme produit) est la
conscience (de soi) du monde.
Mais , dit Marx, une conscience inversée (une conscience du monde à l'envers).
Une conscience qui n'est pas
inversée par elle-même, car la religion n'est rien par elle-même.
Une conscience qui n'est inversée que de dire (à
l'endroit) que le monde est « à l'envers ».
Et bien que le terme ne soit pas expressément employé, on a envie de
dire que la religion est un reflet, elle est comme un miroir qui reflète.
Image impossible cependant, car l'essentiel
n'est pas que la religion soit à l'envers, mais c'est que la société (et l'Etat) le soient : sens dessus dessous.
Un
reflet d'un monde à l'envers, ne serait-il pas à l'endroit ?
A partir de là, Marx, dans une expression toute romantique, et avec une accumulation presque baroque des termes,.
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