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Emmanuel Kant: La liberté fait-elle peur ?

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La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. le n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, [...] c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs, qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail et avoir soigneuse-ment pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n'est vraiment pas si grand ; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher.

« "La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers.

Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même.

le n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux.

Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, [...] c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs, qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de l'humanité.

Après avoir rendu bien sot leur bétail et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors.

Or ce danger n'est vraiment pas si grand ; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher." Emmanuel Kant, « Qu'est-ce que les Lumières ? »,in : Philosophie de l'histoire (1798), trad.

S.

Piobetta, Aubier. questions indicatives Est-ce à cause (et/ou seulement à cause) des « tuteurs » que « la plus grande partie des hommes (et avec eux, le beau sexe tout entier) tiennent pour difficile, même pour très dangereux, le passage de la minorité à la majorité »? L'assertion contenue dans la première phrase est-elle contradictoire avec cela ? Sinon, comment les deux assertions peuvent-elles s'articuler ? Comment penser alors que « le beau sexe tout entier tient pour...

» ? Pourquoi est-il « si commode d'être mineur » ? Qu'en pensez-vous ? Importance de la notation « Après les avoir d'abord abêtis en les traitant comme des animaux domestiques...

» dans l'argumentation et la position de Kant ? Quel est l'enjeu de ce texte ? Est-ce un texte : pédagogique ? moral ? philosophique ? Ce que défend ce texte: Au 18 siècle s'est développé en France un courant philosophique et encyclopédique qu'on a appelé les Lumières, par référence aux lumières de la raison, cette « lumière naturelle » commune à tous les hommes et qui leur apporte autonomie et connaissance. Ce courant, qui a eu son équivalent en Allemagne (l'Aufklarung – l'« Éclairement »), est celui sur lequel Kant s'interroge dans cet extrait.

Qu'est-ce que la philosophie des Lumières ? C'est plus qu'un courant d'idées, nous dit-il, c'est ce qui désigne « la sortie de l'homme de sa minorité », sortie dont il est lui-même responsable. Les termes de « minorité » et de « mineurs » ne doivent toutefois pas être pris ici au sens juridique ou politique que nous connaissons (lorsque nous disons, par exemple, que nous ne pouvons pas aller voter tant que nous sommes mineurs, et ce, en vertu d'un statut défini par la loi).

Ils désignent, dans le vocabulaire de Kant, l'état de ceux qui, leur vie durant, sont soumis à une direction étrangère, la situation de celui qui est dans « l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui ». Or cet état peut se rencontrer à tout âge et il ne provient pas de l'incapacité où sont les hommes de juger par euxmêmes et de comprendre (« entendre »), mais par manque de courage de se servir de cette faculté, sans la direction d'autrui. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! », voilà quelle est la devise des Lumières.

Kant se demande toutefois pour quelles raisons les « mineurs », au sens ainsi défini, sont si enclins à céder à la paresse et à la lâcheté de ne pas se servir de leur entendement, et « restent volontiers, leur vie durant, mineurs ».

Y trouvent-ils un plaisir ?. »

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