D’où vient notre refus du temps ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
TEMPS: Milieu indéfini et homogène, analogue à l'espace, dans lequel se déroulent les événements.
Temps objectif: Mouvement continu et irréversible (« flèche du temps ») par lequel le présent rejoint le passé.
Temps subjectif: Sentiment intérieur de la temporalité, telle qu'elle est vécue par le sujet (synonyme : durée).
Irréversibilité du temps
Le temps se manifeste à notre conscience dans un sens unique : le mouvement peut bien être inversé, le temps ira
toujours de l'avant.
Le cours inexorable du temps ne permet nul retour au passé.
Ô temps, suspends ton vol !
D'ailleurs, si nous pouvions revivre le passé, ce serait un passé retrouvé, ayant un goût nouveau, comme un livre
relu.
Le temps semble donc marquer notre impuissance, puisqu'il ne peut décidément ni suspendre son écoulement,
ni remonter à sa source.
Le bon vieux temps...
L'homme vit en avant de soi, il se projette vers le futur, il aspire à l'avenir comme lieu de réalisation de ses projets.
Pourtant, il ne cesse de se lamenter de la fuite irréversible du temps.
Baudelaire voit dans le temps « l'ennemi », et
de même Proust part À la recherche du temps perdu...
Le passé semble être un paradis dont nous aurions été
chassés, comme si le passage du temps dégradait toutes choses.
La question est alors de comprendre ce refus
paradoxal du temps, cette nostalgie, qui nous pousse à préférer ce qui n'est plus à ce qui est et ce qui sera.
La réponse de Alquié
Le refus du temps est refus de la mort et désir d'éternité
" L'individu veut s'éterniser, il redoute un futur qui contient sa mort, il veut retenir des lambeaux de son passé, il
refuse de les croire perdus, il les appelle à travers le présent.
En cela il exprime sa volonté d'être, son refus de
mourir.
Mais en cela aussi, il laisse échapper le seul être qu'il puisse atteindre, et se condamne à n'aimer que ce qui
est mort.
"
Ferdinand Alquié, Le Désir d'éternité (1943), IV.
Problématique
Quelle est la source du refus affectif du temps ? Pourquoi l'être humain préfère-t-il le passé au futur ?
Explication
Le « désir d'éternité », le « refus du temps » dont parle Alquié à propos des passions, c'est la fixation du passionné
à des circonstances de son passé dont il est d'autant plus l'esclave qu'il n'en prend pas une conscience claire.
Les
passionnés, « prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire sont
contraints par ce souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures
semblent une même histoire perpétuellement reprise.
Don Juan est si certain de n'être pas aimé que toujours il
séduit et toujours refuse de croire à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la preuve qu'il cherche
en vain pour guérir sa blessure ancienne.
De même, l'avarice a souvent pour cause quelque crainte infantile de
mourir de faim, l'ambition prend souvent sa source dans le désir de compenser une ancienne humiliation...
Mais ces
souvenirs n'étant pas conscients et tirés au clair, il faut sans cesse recommencer les actes qui les pourraient
apaiser.
»
La conception de Alquié a été discutée par Pradines.
Ce dernier, tout en reconnaissant que nos
premières émotions sont parfois susceptibles d'orienter définitivement nos tendances, se refuse à voir en toute
passion l'emprise inconsciente du passé.
Le plus souvent, la passion se présente « plutôt comme l'appétit de
sensations inconnues que comme le désir de renouveler d'anciennes expériences ».
La passion charnelle n'est-elle
pas « révolte contre l'habitude » ? Sans doute, en sa conscience claire, la passionné aspire à éprouver des
sensations nouvelles.
Dans le « coup de foudre », la passion éclate brusquement, s ‘éprouve comme une découverte
que rien ne laissait présager.
Mais le témoignage de la conscience du passionné ne nous semble nullement décisif.
Les « découvertes », les « révélations » de la passion sont la réponse à une angoisse qui leur préexiste et qui ne
trouve sa signification claire que dans les événements de notre passé.
Le « coup de foudre » ne nous introduit pas
dans un monde réellement nouveau, mais réveille une ancienne nostalgie.
Si ce visage, inconnu encore de nous il y a
seulement quelques instants, nous trouble si fort, n'est-ce pas, comme le dit Alquié, que « nouveau en lui-même, il.
»
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