D'où vient le devoir ?
Extrait du document
«
Le devoir est l'obligation morale qui s'énonce pour tout homme, en tous lieux et en toutes circonstances.
Le respect
du devoir est un acte libre et désintéressé qui consiste à reconnaître la nécessité d'agir conformément au bien.
Le
devoir se distingue de l'obligation sociale, car cette dernière est variable en fonction de la place occupée par
l'individu.
A contrario, le devoir moral s'énonce pour tout homme, sans considération pour ses particularités.
La question « d'où vient que je sais où est mon devoir » nous invite à rechercher le fondement de l'obligation morale
que nous nous sentons tenus de mettre en pratique.
Il s'agit de déterminer à quelle norme nous nous rapportons
avant de nous décider à agir avec le caractère du devoir.
A cette question, nous avons coutume de répondre en invoquant la conscience morale : il y aurait en chaque
homme une pierre de touche de ses actions, de sorte qu'il serait capable de savoir s'il est en train d'agir ou non en
conformité avec la morale.
Mais nous nous interrogerons sur d'autres fondements possibles de notre certitude d'agir
moralement : la norme extérieure qu'est la loi et le calcul rationnel de notre place individuelle parmi les autres.
I.
Je sais où est mon devoir lorsque je confronte la maxime de mon action à une norme
extérieure
a.
Je sais que j'agis par devoir quand j'obéis aux lois
A première vue, je sais où est mon devoir lorsque j'agis conformément aux lois.
C'est une norme extérieure, la norme
énoncée par les lois en vigueur dans mon pays, qui semble dessiner ce qui est pour moi mon devoir.
Mon devoir,
l'exigence morale qui me dirige dans mes actions, consiste tout entier dans cette obéissance à la loi.
A la question
« d'où vient que je sais où est mon devoir ? » nous répondrons donc : lorsque je sais que mon action est conforme à
la loi du pays où je demeure.
b.
Critique de l'identification de la morale et de la loi
Cependant, cette réponse est critiquable à plusieurs titres.
D'une part, elle confond le devoir, qui est une obligation
morale, et l'observance des lois, qui est plutôt une exigence social.
D'autre part, elle confond le domaine de la
morale, qui est celui du bien en dehors des considérations de temps et de lieux, et celui de la loi, qui est purement
relatif à une société.
Il se peut en effet qu'une prescription soit légale tout en étant immorale : le devoir social de
collaboration avec l'occupant édicté par le régime de Vichy durant la seconde guerre mondiale était légal, mais
totalement immoral.
II.
Je sais où est mon devoir lorsque je confronte la maxime de mon action à ma propre
conscience morale
a.
L'origine de la connaissance de mon devoir : la conscience morale
Si je ne sais pas où est mon devoir en me rapportant à une norme extérieure, alors je le sais peut être en
confrontant la maxime de mon action à ma propre conscience.
On appelle conscience la connaissance supposée par
tous les hommes de ce qui est bon et de ce qui ne l'est pas.
Il s'agit d'une pierre de touche de mon action, à
laquelle je puis la confronter pour déterminer si elle est bonne ou si elle ne l'est pas.
C'est Rousseau qui défend une
telle thèse dans l'Emile :
Rousseau: "Conscience ! Conscience ! Juge infaillible du bien et du mal"
Cette formule de Rousseau, que l'on peut lire dans l'Emile, aborde la
question de la conscience dans sa dimension morale.
En effet, si
comme nous l'avons montré dans l'analyse de la citation de Pascal, la
conscience signifie au sens premier « accompagné de savoir », elle
prend également un sens moral, et les expressions que nous venons
d'évoquer montrent qu'elle apparaît comme ce sentiment qui pourrait
nous permettre de distinguer le bien du mal.
Tel est le sens de la
formule de Rousseau puisqu'il la qualifie de « juge infaillible ».
Ainsi, la conscience morale serait ce sentiment moral inné que tout
homme possèderait.
Il suffit alors d'écouter « la voix de sa conscience
» pour savoir qu'on a mal agi, ou, pour bien juger, de juger « en son
âme et conscience ».
Si on peut alors définir l'homme par la
conscience, c'est donc aussi en tant qu'être moral ou, en tout cas, en
tant qu'être pour qui la question morale se pose.
Pourtant, faire
reposer la morale sur un sentiment n'est pas sans poser problème.
En
effet, n'est-il pas possible de faire le mal en toute bonne conscience ?
Comment dans ces conditions Rousseau peut-il soutenir l'infaillibilité de
ce sentiment ? Parce qu'un sentiment anime le cœur des hommes et
caractérise l'humanité : la pitié, sentiment qui le conduit à souffrir au spectacle de la souffrance de l'autre.
Pourtant, de nombreux événements dans la vie courante et dans l'histoire nous montrent que ce sentiment.
»
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