Donner pour recevoir, est-ce le principe de tout échange ?
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VOCABULAIRE:
PRINCIPE: Du latin principium, « commencement », origine » (de princeps, « premier »).
Origine, cause première des choses.
En logique, loi fondamentale de la pensée (exemple : le principe de noncontradiction).
Dans les sciences, proposition première posée au fondement d'un raisonnement ou d'une
démonstration.
En morale, règle de conduite ou norme des
jugements pratiques (exemple : avoir des principes).
Pétition de principe : faute logique qui consiste à s'appuyer, au
début d'un raisonnement, sur la thèse qu'il s'agit précisément de démontrer.
[Introduction]
L'individu solitaire n'est pas en mesure de produire tout ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins.
Il est
vraisemblable que cette impossibilité est apparue très tôt dans l'histoire de l'humanité.
En tout cas, plus la société
se complexifie et plus les besoins se diversifient, plus elle devient en conséquence réelle.
C'est pourquoi il est
nécessaire que les ressources circulent de l'un à l'autre.
Schématiquement, on dira que celui qui produit trop de blé
(relativement à ses besoins personnels) en donne à celui qui produit trop de laine ; réciproquement, ce dernier lui
donnera de la laine.
Tel serait en apparence le principe de tout échange : on donne contre autre chose qui vient en
retour.
On donne pour recevoir.
Il s'agit de vérifier que n'importe quel échange obéit à ce schéma, mais aussi de
cerner les différentes significations que peut revêtir dans la formule le « pour ».
[I.
Le don appauvrit]
Les anthropologues constatent que les échanges premiers, dans les sociétés, concernent trois secteurs ou types
d'« objets » : il y a échange des femmes comme futures épouses, échange des messages et échanges de biens ou
de services.
Seuls les derniers ont une portée économique, mais tous commencent par un don qui démunit la
personne ou le groupe qui y consent.
L'échange des femmes – comme épouses potentielles – suppose que soit respectée, dans les groupes humains, la
prohibition de l'inceste.
Il s'effectue donc dans un contexte déjà culturel, où les femmes qui font partie de la
parenté sont considérées comme ne pouvant être des partenaires sexuelles.
Comme tout groupe doit se reproduire
biologiquement, il faut donc trouver ailleurs – dans un autre groupe reconnu comme humain – des épouses.
Ainsi, un
groupe A reçoit des épouses du groupe B.
Ce qui a pour conséquence d'instaurer entre eux de nouvelles relations de
parenté, qui rendent impossible une circulation réciproque des femmes de A vers B, dont le déséquilibre est alors
compensé par la dot (bétail, biens matériels, armes) qui instaure, non un achat, mais bien un échange.
La dot en
effet se substitue, en B, aux femmes absentes, mais elle ne les remplace pas.
C'est pourquoi elle est en fait
destinée à ne pas être durablement conservée : elle doit être à nouveau échangée contre des épouses en
provenance d'un troisième groupe C qui, à son tour, se trouvant déséquilibré, devra remettre en circulation la dot,
etc.
Il apparaît ainsi que, si l'échange commence par un don, il implique d'abord que celui à qui on donne fasse bien partie
de l'humanité : on peut donner à un animal, mais c'est sans retour.
De plus, l'extension de l'échange d'un groupe à
l'autre définit une humanité de plus en plus vaste.
Mais surtout, le don initial aboutit à un relatif dénuement.
Il doit
donc être compensé par un contre-don.
Ce dernier n'est pas nécessairement de même nature que le don : il en tient
lieu symboliquement, mais, dans un second temps, il permet de retrouver ce qui a été donné.
On donne ainsi pour recevoir, parce que recevoir en échange est une nécessité : il s'agit de rétablir dans ce cas
l'intégrité du donateur.
Le « pour » indique moins une intention, un but conscient, qu'un principe de rééquilibration.
[II.
L'échange peut enrichir]
L'échange des messages, donc le recours au langage, implique évidemment une semblable reconnaissance de
l'humanité présente dans l'autre.
Mais s'adresser à ce dernier peut être motivé de multiples façons : j'en attends
une complicité, un renseignement, une aide, un apport de connaissances, ou, plus radicalement, la mise en commun
de certaines de nos possibilités.
Dans le dialogue tel que Platon en fournit la version philosophique initiale, il y a bien collaboration des interlocuteurs
pour constituer ensemble une vérité commune.
L'échange des discours, dans cette optique, ne constate pas
seulement l'existence, au départ, d'une communauté de situation, il en donne en son aboutissement une
confirmation de plus haute valeur : les interlocuteurs ont prouvé leur aptitude à progresser vers la connaissance et
la vérité.
Sans doute tout dialogue n'est-il pas porteur d'une signification aussi ambitieuse.
Il n'en reste pas moins que
l'échange instaure dans ce cas un espace pour la circulation, non seulement des paroles, mais aussi des
informations, des opinions, des idées.
Les mots que j'adresse à l'autre sont bien en attente d'une réponse : dans
cette adresse, je « donne » cette fois avec l'intention de recevoir, non plus pour retrouver simplement mon équilibre
initial (qui est d'ailleurs peu en cause par mon « don » de mots), mais pour accéder à une façon d'être supérieure,
et m'enrichir dans et grâce à l'échange.
Symétriquement, l'autre peut s'enrichir de même façon : il existe ainsi une
juste répartition et une semblable efficacité des dons et contre-dons.
Lorsque, par contre, le langage n'est utilisé que pour ordonner, donc lorsque n'est attendu aucun message en
retour, une inégalité s'instaure : l'un parle, l'autre agit.
La situation n'est plus d'échange, puisque le discours ne
fonctionne que dans une seule direction, sans réciprocité ni égalité possible.
L'échange linguistique authentique
esquisse donc dans l'ordre symbolique l'exigence d'équilibre que l'on retrouve dans le troisième type des échanges
fondamentaux..
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