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Doit-on parler de la Science au singulier ou au pluriel?

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« Il nous arrive encore fréquemment de parler de la Science au singulier, mais il ne semble pas que nous utilisions alors ce terme pour désigner un champ de recherche propre : ainsi, en parlant de la Science nous faisons plutôt référence à une méthode.

Or, à l'opposé, nous découvrons des domaines spécifiques, des sciences particulières : les mathématiques, la physique, la biologie, mais également les sciences humaines : histoire, sociologie, anthropologie, philosophie, etc.

Face à cet éclatement, nous serions tentés 1° de parler de la Science au pluriel en disant « les sciences « (expérimentales, humaines) et 2° de remettre en cause l'unité de méthode liée à l'idée de Science : en effet, quels liens trouver entre la méthode mathématique et les investigations de l'ethnologie ? Notre réflexion ne pourra donc pas faire l'économie d'une analyse du concept de Science : que faut-il entendre par-là ? S'agit-il d'un simple contenu de savoir ou bien d'une méthode propre ? Or, en matière de méthode, existe-t-il une méthode scientifique ou des méthodes ? Ainsi, la Science est-elle ce qu'il y a de commun aux sciences, c'est-à-dire leur méthode, ou bien n'est-elle qu'une forme ancienne du savoir ayant laissé place à des sciences irréductibles les unes aux autres et qui auraient développé leurs méthodes propres ? I – Descartes et la Science Dans la Lettre-préface a u x Principes de la philosophie, Descartes parle d e la Science comme de l'étude de la sagesse, c'est-à-dire non seulement la prudence dans les affaires, mais aussi une parfaite connaissance de toutes les choses que l'homme peut savoir, tant pour la conduite de la vie, que pour la conservation d e la santé et l'invention d e tous les arts.

On le voit immédiatement, la définition de Descartes est extrêmement large.

En effet, la Science n'est rien d'autre que la Sagesse et cette sagesse se définit à la fois comme un savoir englobant (le sage, c'est celui qui sait tout) et comme une forme de vie, prudente et réglée (le sage, c'est celui qui vit en harmonie avec soi-même et le monde). La Science comprise comme sagesse renvoie donc à l'ensemble du savoir.

Descartes utilise à ce propos la métaphore de l'arbre : la philosophie, qui est amour du savoir ou de la sagesse, se présente sous la forme d'un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, les branches : la mécanique, la médecine et la morale.

La Science est donc un édifice totalisant, à la fois théorique (métaphysique) et pratique (par exemple, la morale).

Remarquons que Newton, jetant les bases de la physique classique quelques années plus tard, reconnaîtra faire d e la « philosophie naturelle », cette branche du savoir (ou de la Science) qui s'applique à la Nature. La Science comprend donc tous les savoirs particuliers, mais aucun ne mérite le titre de science, uniquement celui de partie du savoir. II – Carnap et la logique de la science La conception unitaire de la science héritée de Descartes trouve un écho dans les théories modernes, mais, nous allons le voir, pour des raisons différentes.

En effet, pour le positivisme logique et son représentant le plus important : Rudolf Carnap, ce qui compte, c'est la structure logique de la science.

Cette structure permet alors d'unifier la science en un domaine où les énoncés sont pourvus de sens.

En faisant cela, Carnap s'attaque à la métaphysique. Ainsi, Carnap se concentre, non pas sur telle ou telle théorie scientifique, mais sur la structure interne des théories en général.

Il s'agit pour lui de déterminer à quelles conditions un énoncé scientifique peut être pourvu de sens : 1° l'énoncé doit être logiquement construit et 2° exprimer un fait positif isolable.

D'où le nom de positivisme logique. L'enjeu est donc bien d e reconnaître la science comme le seul lieu où des énoncés significatifs (ayant un sens) peuvent être produits ; à l'inverse de la métaphysique qui, par exemple, parle de l' « être», ce qui ne correspond à rien de visible dans le monde, à aucun fait isolable.

Mais, au-delà de cette première reconnaissance, c'est l'unité de la science qui est en jeu.

En effet, reconnaître que les sciences particulières, biologie, mathématiques, physique, etc.

fonctionnent suivant le même modèle, cela permet de les intégrer dans une structure logique plus vaste. Cependant, s'il y a, comme chez Descartes, unité d e la Science, cette unité n'a pas la m ê m e signification.

Pour Descartes, la Science, c'est l'ensemble du savoir, alors que pour Carnap, c'est l'unité logique qui réunit les sciences particulières ; en ce sens, la métaphysique fait partie de la science pour Descartes, mais pas pour Carnap. III – Unité de méthode, degrés d'objectivité et pluralité des sciences De ce que nous venons de dire, il faut tirer les enseignements.

Contre Descartes, on ne peut plus penser la Science comme le savoir absolu, m ê m e s i les expressions courantes nous trahissent : nous disons bien « avoir la science infuse ».

En effet, il nous faut rendre compte de la spécialisation croissante des sciences, notamment via l'apparition des sciences humaines.

Mais, contre Carnap, on ne peut songer à unifier les sciences à partir d'une seule analyse logique. Il nous faut donc prendre acte de la réalité en trois temps : 1/ la pluralité des sciences est attestée et il ne sert à rien de vouloir la réduire.

Cependant, il ne faut pas croire par-là que le savoir serait comme diffracté et à jamais éparpillé.

Ainsi, 2/ nous pouvons poser une unité méthodologique de principe concernant la science.

Il ne s'agit pas, sur le m o d è l e d e Auguste Comte (Cours de philosophie positive), de réunir les sciences autour d'un souci commun porté à l'observation, m a i s d e mettre à jour leur portée foncièrement explicative.

Dès lors, 3/ il est possible de rapprocher des sciences comme la physique et l'histoire en mettant à jour le type d'explication qu'elles proposent et en distinguant des degrés d'objectivité, comme le fait Paul Ricœur dans Histoire et vérité : ainsi l'histoire ne traite pas d e l a m ê m e manière son sujet : l'homme dans sa dimension historique, que la physique le sien : la nature inerte soumise à des lois mécaniques.

L'écart entre les deux sciences est donc celui entre deux degrés d'objectivité, deux variations sur un même axe méthodique. Si l'on parle de sciences au pluriel, c'est donc bien que l'on reconnaît une scientificité à l'œuvre dans les divers champs d'application. Conclusion : Ainsi, il est possible de parler de la Science ou des sciences, mais il faut le faire en connaissance de cause.

Par exemple, il est possible de parler de la Science, si je me réfère à la description d'un savoir universel tel qu'il apparaît chez Descartes.

Il m'est permis, à l'inverse, de parler des sciences, si je produis les distinctions nécessaires, permettant de différencier les différents champs scientifiques (biologie, physique, mais aussi sociologie, anthropologie, etc.) tout en reconnaissant leur visée commune ; visée commune ou unité de méthode qui me permet justement de parler de sciences au pluriel, c'est-à-dire d'une scientificité située sur divers niveaux.. »

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