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Doit-on être vertueux pour savoir ce qu'est la vertu ?

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« Dans l'hypothèse où il faut être vertueux pour savoir ce qu'est la vertu, nous donnons raison aux adorateurs du vice, en effet, ceux-ci n'étant pas vertueux, ne peuvent savoir ce qu'est la vertu et se fourvoient donc malgré eux dans le vice.

Cette première hypothèse revient donc à leur donner l'absolution.

Toutefois, affirmer que la connaissance de la vertu est innée et ne repose aucunement sur son exercice, est tout aussi périlleux, puisque, en effet, cela revient à condamner moralement ceux qui ne font pas acte de vertu, étant donné que l'on part cette fois de l'hypothèse qu'ils en ont la connaissance.

Au-delà de l'enjeu éthique de cette discussion, c'est le rapport philosophique entre l'intérieur et l'extérieur dans le cadre de la connaissance, qui se trouve en question. I- On peut connaître la vertu sans être vertueux. Sauf à adopter la conception d'une humanité mauvaise en soi, il nous semble raisonnable de dire que tout homme aspire toujours à mieux.

La psychanalyse est venue nous éclairer sur des conduites pathologiques d'échecs, qui ont pour fin de reconduire le sujet dans un état de frustration perpétuel, le sujet névrotique est incapable de sortir de la répétition de son propre échec, qu'il rejoue toujours d'une manière ou d'une autre.

Certains hommes sont donc presque irréversiblement tournés vers l'échec, toutefois, le caractère normatif du jugement psychanalytique tend à asseoir l'idée qu'il existe un type de comportement non pas normal mais jugé plus sain et épanouissant pour l'individu. Autrement dit, l'individu sain d'esprit est vraisemblablement disposé à se donner les moyens d'une vie meilleure.

Dans l'aspect social de sa vie, l'individu sera donc enclin à respecter les valeurs de justice, de respect et d'équité, cela par considération envers son prochain et envers la collectivité en général.

Il serait naïf de penser que les comportements sociopathes, privilégiant le vice sur la vertu, sont le témoignage d'une ignorance de ce qu'est la vertu.

Ils s'expliquent certainement davantage si on les interprète comme des manifestations de défi ou d'hostilité envers le corps social, ou bien comme une incapacité humaine à conformer ses actions à des principes dont on reconnaît la supériorité. Aussi, ce n'est pas parce que je sais que la vertu est une valeur moralement et socialement supérieure à celle du vice, que je vais être capable de faire preuve de vertu.

Le film de Frears, The Hit, tourné en 1983, nous semble exemplaire à cet égard.

Le héros est fait captif par deux hommes au début du film, qui, au terme d'un périple, ont pour tâche de l'éliminer, information dont le personnage dispose depuis le départ.

Tandis que ses geôliers s'attendent à devoir gérer sa peur et ses tentatives d'évasion, le protagoniste principal les étonne en faisant preuve d'un flegme à tout épreuve et en ne cherchant pas à se soustraire au sort qui lui est promis.

Lorsqu'on lui demande ce qui le rend capable d'un tel comportement, il distille tout un savoir théorique sur la vie, la mort, la sagesse.

Mais, tout l'intérêt du film réside dans le dénouement : sa connaissance de la vertu (qui peut ici être comprise comme la corrélation du courage, de la sagesse, de la dignité et de l'humilité) ne sauve guère le héros, alors que vient le moment de son exécution, ce dernier recouvre le désir de rester en vie, prend peur et, par la couardise dont il fait preuve, parvient même à choquer ses assassins, qui ne s'attendaient pas à un tel revirement, vécu comme une déception.

La connaissance de la vertu peut donc être celle d'un personnage qui lui-même n'est pas vertueux. II- Le problème de la connaissance. Le concept clef dans le problème que nous avons à résoudre est celui de connaissance : autrement dit, peut-on réellement connaître une chose en lui demeurant extérieur ? La connaissance théorique, livresque, de la vertu, égale-t-elle le savoir dont disposent les gens vertueux sur leur propre qualité ? On accorderait sans peine avec La Bruyère qu'il faut avoir aimé pour prétendre savoir ce qu'est l'amour ; or, être vertueux, n'est-ce pas également une disposition psychique singulière ? Dès lors ne doit-on pas distinguer entre une connaissance adéquate de la vertu et une connaissance secondaire ? Deux solutions paraissent donc possibles et qui tiennent à deux attitudes bien distinctes ; soit l'on adopte l'attitude du philosophe contemplatif, et dès lors il suffit d'atteindre à l'idée de la vertu, par la méditation, pour s'en construire un savoir ; soit l'on préfère une attitude plus scientifique, qui consiste à privilégier l'expérience des choses en première personne.

A ce titre, un savoir n'est garanti que s'il est doublé, soutenu, par une expérience personnelle. Toutefois il peut sembler trop radical de distinguer absolument un savoir de première main et un savoir secondaire ; les personnages des écrits de Sade décrivent parfois fort justement en quoi consiste la vertu, quoiqu'ils ne l'observent pas.

Ne pourrait-on pas argumenter d'ailleurs que l'on connaît d'autant mieux une chose qu'on lui est extérieur ? III- Savoir ce qu'est la vertu implique d'être vertueux. Cependant, il faut nous défaire du présupposé selon lequel la vertu serait égale à une chose, que l'on pourrait décrire sur le modèle d'un objet naturel.

La vertu ne doit pas être réifié, elle ne doit pas être non plus intellectualisée, elle n'est ni une chose ni un concept mais un état d'esprit, non seulement une série de principes, mais l'allure d'une conduite.

La vertu ne saurait donc être réduit à la connaissance verbale qu'on en peut avoir. Ce n'est donc plus un paradoxe de soutenir qu'il faut être vertueux pour savoir ce qu'est la vertu, dès lors que l'on cesse de négliger l'avoir lieu réel de la vertu.

Le pouvoir de la connaissance théorique ne saurait donc être tel qu'il puisse remplacer un savoir réel corrélatif d'une expérience faite en première personne.

La piété, l'équité, la générosité, et toutes autres attitudes vertueuses ne sont donc réellement connues que par ceux qui les ont éprouvé. Il convient donc bien de distinguer une connaissance idéelle d'une connaissance réelle liée à un éprouver.

Le vocabulaire biblique laisse transparaître la corrélation entre savoir et expérience lorsqu'elle emploie métaphoriquement le verbe « connaître » pour suggérer les rapports sexuels qu'ont eu les protagonistes.

Cette corrélation s'inscrit dans une philosophie de l'action et non de la contemplation, une philosophie où se construire un savoir ne se dépareille pas d'un agir. Conclusion : Il paraît clair au premier abord que la vertu puisse être connue par ceux qui ne l'observent pas, la connaissance d'une chose peut se communiquer de manière théorique, par la langue, et ne passe pas nécessairement par l'expérience.

Or, la vertu n'est pas une idée, elle n'est ce qu'elle est que lorsqu'elle existe en acte, c'est-à-dire comme état éprouvé par un sujet.

S'il faut accorder que les non-vertueux puissent connaître quelque chose de la vertu, il faut néanmoins distinguer cette connaissance secondaire de celle adéquate dont disposent les hommes vertueux.

Il y a donc une hiérarchie entre deux modes de connaissance, l'un dégradé puisqu'il ne connaît la vertu que comme un principe, et l'autre complet puisqu'il connaît la vertu comme un état vécu.. »

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