dissertation l'enfance est un âge d'or
Publié le 29/10/2022
Extrait du document
«
L’émerveillement est un état d’esprit couramment associé à l’enfance.
Dans L’espace littéraire, l’écrivain Maurice Blanchot semble évoquer cet état d’esprit lorsqu’il écrit : « Que notre enfance nous fascine, cela arrive parce que
l’enfance est le moment de la fascination, est elle-même fascinée, et cet âge d’or semble baigné dans une lumière splendide parce qu’irrévélée ».
Maurice Blanchot évoque à la fois le regard que l’adulte porte sur l’enfance, et le regard
que l’enfant porte sur le monde.
Ce double regard se caractérise par la « fascination ».
D’une part, il existe une première fascination qui évoque l’attirance et l’émerveillement de l’enfant face au monde, notamment face aux choses
qui lui sont nouvelles et lui semblent extraordinaires.
En effet, ces choses lui semblent incompréhensibles et elles le dépassent.
D’autre part, l’adulte est lui-même fasciné par le regard admiratif que porte l’enfant sur le monde.
Finalement, quel que soit le point de vue, l’enfance semble entourée d’une beauté mystérieuse et presque surnaturelle.
Ainsi, ce serait le mystère, autrement dit une forme de méconnaissance ou d’incompréhension, qui susciterait notre fascination pour l’enfance.
Admettre que l’enfance est fascinante, c’est donc d’abord reconnaître qu’elle nous
est mystérieuse : notre perception de l’enfance reste une interprétation.
Dès lors, il est possible de remettre en question ce regard admiratif et « doré » que nous portons sur l’enfance.
La fascination pour l’enfance ne trahit-elle pas une idéalisation de cet « âge d’or » ?
En nous appuyant sur l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, sur Aké, les années d’enfance de Wole Soyinka et sur les Contes de Hans Christian Andersen, nous verrons que l’enfance est certes l’objet d’une fascination justifiée par la
manière d’être de l’enfant.
Nous montrerons cependant que la fascination éprouvée par l’adulte cache une déformation de la réalité.
Cela nous conduit à admettre que toute représentation de l’enfance est une construction de
l’adulte.
L’enfance nous fascine parce que l’enfant a une attitude émerveillée face au monde.
Une attitude qui contraste clairement avec celle, désabusée, de l’adulte.
Ainsi, ce contraste donne l’impression que l’enfance est un « âge d’or ».
En effet, la découverte du monde est une source d’émerveillement pour l’enfance.
L’enfant, encore ignorant, s’étonne et s’enthousiasme sans cesse de la nouveauté qui s’offre à lui.
À ce titre, Rousseau rappelle que l’enfance est
le temps d’une découverte permanente.
Le philosophe explique que l’enfant est naturellement attiré par tout ce qui l’entoure.
Il a besoin d’éprouver toutes les choses qu’il ne connait pas encore afin de jauger leurs qualités physiques
et sensibles.
Soyinka montre que cette découverte est teintée d’émerveillement.
Ainsi, les choses les plus banales mais inconnues prennent une dimension extraordinaire au cours de l’enfance de l’auteur.
La première fois, la course
rapide de son ami Osiki est interprétée comme un phénomène magique.
De même, un simple morceau de fruit lui évoque les histoires de la Bible.
Andersen confirme que l’inconnu suscite l’émerveillement de l’enfant.
Qu’il s’agisse du
crapaud, de la petite sirène ou encore de Jorgen, ses personnages sont fascinés par la nouveauté et l’ampleur de ce qu’ils découvrent.
À l'inverse, les adultes sont habitués à ce qui leur apparaît désormais comme d’ordinaires «
banalités ».
L’émerveillement de l’enfant bouscule donc leur rapport au monde.
Le temps qui passe désenchante le monde.
De « l’âge d’or » à « l’âge de raison », la fascination laisse place à la rationalisation.
Ainsi, le monde des adultes perd l’aura mystérieuse qui donne toute sa saveur à l’enfance.
Rousseau
écrit que le but de l’éducation est de faire de l’enfant un jeune adulte raisonnable.
En effet, grandir c’est être capable de prendre place dans le monde ; il s’agit alors de mesurer ses besoins, ses capacités et son environnement.
Il faut
connaître et comprendre pour vivre adulte.
Plus encore, il faut adopter une nouvelle attitude, comme le montre le jeune Wole Soyinka.
Progressivement, il quitte ses rêveries enfantines pour ne pas être victime des méfaits des
hommes.
À la fin du livre, Wole Soyinka comprend qu’il doit changer mentalement et de manière radicale pour affronter le monde des adultes.
Seulement, l’adulte risque de devenir trop pragmatique comme le déplore Andersen.
Dans
« Les fleurs de la petite Ida », le conseiller de chancellerie juge stupide l’imagination de l’étudiant : il ne voit même plus la beauté dans le regard fasciné de la petite Ida.
Ainsi, l’adulte vit dans un monde terre à terre depuis lequel
l’enfance devient énigmatique.
L’adulte est naturellement fasciné par l’enfance.
L’enfance contraste avec l’âge adulte par cette capacité à rayonner d’énergie, de joie et d’enthousiasme.
À tel point que l’adulte en est lui-même stupéfait.
En contemplant les
enfants, il retrouve le goût de cette fascination qui lui rappelle sa propre jeunesse.
Ainsi, Soyinka raconte à plusieurs reprises la stupéfaction des adultes à l’égard de sa soif de découverte.
Notamment lorsqu’il s’épuise pour suivre la
fanfare et découvrir Abeokuta au chapitre III.
Mais aussi lorsqu’il fait preuve d’une forme d’acharnement pour aller à l’école et satisfaire son goût de la lecture.
Son père lui-même reste bouche bée face à l’attraction qu’exercent les
livres sur son fils.
De manière comparable, Andersen raconte l’admiration de certains adultes (et d’une chandelle de suif) face à l’émerveillement des enfants.
Dans « Les bougies », la chandelle est fascinée par la joie d’une enfant
devant un modeste repas de fête.
La pauvre mère de cette enfant se nourrit de sa joie pour travailler dur.
Dans une moindre mesure, on devine l’admiration de Rousseau à l’égard de l’enfance lorsqu’il compare l’énergie vitale de
l’enfant à celui de l’homme âgé.
La première, débordante, rayonne sur celle du second, diminuée.
L’adulte considère donc naturellement l’enfance comme un « âge d’or ».
L’émerveillement de l’enfant étonne l’adulte qui lui n’a plus le même regard sur le monde.
Cependant, la fascination que peut éprouver l’adulte face à l’enfance mérite d’être questionnée.
La fascination n’est autre qu’un regard biaisé, une perception idéalisée.
Cette représentation idéalisée de l’enfance cache une autre réalité.
Tout d’abord, l’adulte surestime la splendeur de l’enfance.
Définir l’enfance comme un « âge d’or » semble abusif.
En effet, les qualités prêtées à l’enfant voilent une réalité bien différente qui n’est pas toujours idyllique.
Non sans
une certaine ironie, Soyinka raconte le désespoir de sa mère à l’égard des mauvais comportements de ses enfants.
Mettant ces comportements sur le compte de « l’esprit du diable », Chrétienne Sauvage n’admet pas que l’enfance ne
corresponde pas à son idéal chrétien.
Un idéal qui prône l’innocence et la sincérité de l’enfant, loin de prendre en compte tous les méfaits auxquels ils s’adonnent en réalité.
Dans cette optique, Rousseau se moque quelque peu des
mères qui prennent leurs enfants pour des prodiges.
En effet, elles auraient tendance à sur-interpréter certains traits de l’enfance qui ne devraient pas susciter autant de fascination.
Par exemple, une idée qui semble brillante sortie de
la bouche d’un enfant ne serait qu’un heureux hasard selon le philosophe.
Plus largement, Andersen souligne les côtés sombres de l’enfance.
Alors que lui-même en fait l’éloge dans bien des contes, il rappelle que l’enfant peut être
indifférent ou méchant.
C’est notamment le cas de la petite fille de brigands.
L’adulte a donc tendance à idéaliser l’enfance.
Ensuite, l’idéalisation de l’enfance est engendrée par la nostalgie de l’adulte.
C’est probablement le sentiment de déclin et les regrets qui conduisent l’adulte à survaloriser l’enfance.
Finalement, l’adulte fantasme sur un passé qui
n’a peut-être jamais existé.
Rousseau lui-même s’adonne à la nostalgie lorsqu’il avoue regretter l’enfance.
Pourtant, il démontre que l’enfance est l’âge des pleurs, des cris, de la misère, de la faiblesse.
Mais il ne peut pas s’empêcher
de décrire l’enfance comme un âge heureux et insouciant au cours de quelques digressions.
Soyinka témoigne également de sa nostalgie de l’enfance.
Au début du chapitre V et dans le chapitre X, l’écrivain met en parallèle le quartier
de son enfance à ce qu’il est devenu des années plus tard.
Le temps semble avoir fait des ravages.
En raison de ce décalage, les sensations de son enfance sont rehaussées, démesurées et finalement idéalisées.
C’est peut-être
justement pour rappeler qu’il n’y a pas d’âge idéal qu’Andersen a écrit « Le sapin ».
En effet, la jeunesse du sapin se passe dans l’attente insoutenable de l’avenir.
Puis, sa vieillesse se fond dans les regrets du passé.
L’être humain
enjolive le temps désormais perdu de sa jeunesse.
Enfin, l’enfant n’est pas constamment fasciné par ce qu’il voit : il porte un regard objectif et lucide....
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