Dissertation : Gagnons-nous à vivre ensemble ?
Publié le 09/05/2023
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«
Alice Cohen-Morzadec
Gagnons-nous à vivre-ensemble ?
TC –
Aristote, dans Ethique à Nicomaque, décrivait que « C’est en tournant nos regards vers
notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi-même ».
Ainsi,
il semblerait que le vivre-ensemble soit bénéfique pour l’individu puisqu’il l’aiderait à se
connaître soi-même et à comprendre le sens de son existence sur Terre.
Cependant, si les
autres sont un « autre soi-même », cela ne signifie-t-il pas que nous perdons toute
singularité et individualité par le vivre-ensemble ? La vie en société nous apporte-t-elle
davantage de bien qu’elle ne nous fait de mal ?
Pour y répondre, il faut d’abord s’interroger sur ce que signifie la vie en société et ce
qui la différencie du vivre-ensemble.
Ce qui distingue les deux termes c’est la notion
d’échelle.
En effet si à notre époque nous sommes dans une logique de vie en société voire
même de vie mondialisée, le vivre-ensemble peut pointer un petit groupe partageant ou
échangeant des biens, des services, des pensées, des paroles, des habitudes et techniques ;
et non nécessairement une société, qui réunit un ensemble d’individus faisant compagnie
dans une organisation politique, sociale et économique.
Dès lors, cette différence est majeure
et peut déterminer l’orientation de la réponse à la question.
Gagnons-nous à vivre ensemble
ou gagnons-nous à vivre en société ? La vie en société suppose-t-elle forcément un vivreensemble ? Du moins, cette mise en collectivité impose de créer un ensemble stable et
uniforme, de donner aux normes, aux jugements, aux droits, aux devoirs, à la langue et aux
mœurs, traditions, habitudes une valeur commune.
Ou bien peut-être qu’à l’inverse ce sont
ces valeurs communes qui permettent le vivre-ensemble, c’est-à-dire, est-ce la culture qui
fonde le vivre-ensemble ou est-ce le vivre-ensemble qui est à l’origine de la culture ? Dans
les deux cas, comment est-ce que cela affecte l’individu ? Cela lui permet-il de s’élever,
grandir, telle une plante depuis un sol fertilisé, comme l’entend l’étymologie du mot culture
« Colere », ou cela le transforme-t-il en une statue de marbre dont on prend le plus grand
soin après l’avoir rabâché de coups et soumis à une autorité dont il ne peut se détacher, pour
lui donner une forme conforme qui demeurera à travers les époques ? Ainsi, si nous gagnons
à vivre-ensemble, est-ce parce que l’on en tire un profit matériel, un avantage collectif ou un
intérêt personnel ? Est-ce que l’on remporte un prix, telle une médaille ou une coupe lorsque
l’on organise la vie en commun ? Si c’est une compétition, contre quoi jouons-nous ?
Mettons-nous en jeu notre humanité ? Si gagner, peut aussi être compris au sens d’une
direction, on pourrait comprendre la question comme « Nous dirigeons-nous peu à peu vers
le vivre-ensemble ? », mais aussi comme « notre singularité individuelle s’empare-t-elle
progressivement de la vie collective ? », ou enfin comme « le collectif pénètre-t-il la sphère
privée ? ».
La préposition « à » semble alors essentielle pour saisir l’enjeu complet du sujet.
Bénéficions nous, en tant qu’individu, groupe, société ou humanité entière, à vivreensemble ? Le vivre-ensemble nous rend-il heureux sans sacrifier notre liberté ?
Gagnons-nous à vivre-ensemble ? Avons-nous chacun intérêt à rejoindre la vie en
collectivité, en avons-nous même le choix, ou au contraire n’y arriverons-nous jamais
entièrement ?
Nous tenterons de répondre à cette question en montrant d’abord de quelle manière le
vivre-ensemble bénéficie aux hommes à toutes les échelles de la société, puis nous
nuancerons cette démonstration en avançant que parfois le vivre-ensemble peut-être un
fardeau qui brime les individus, enfin nous nous demanderons si le vivre-ensemble est
finalement réellement possible.
Le vivre-ensemble est bénéfique individuellement et collectivement.
Le vivre-ensemble
est à la fois cette terre fertilisée commune qui nous permet de grandir, et à la fois ces rayons
du soleil, dont on cherche constamment la source, qui nous apportent les ressources
nécessaires pour que l’on s’élève et que l’on atteigne notre but existentiel.
Nous sommes
ainsi semblables aux plantes et à la Nature, une nature que le vivre-ensemble respecte tout
en nous édifiant vers le souverain bien, quel qu’il soit.
Le vivre-ensemble nous apporte des biens matériels et une sécurité collective,
garantissant alors une liberté.
L’homme qui dans son état de nature vit dans un
environnement de guerre de tous contre tous, a besoin d’une organisation politique, sociale
et économique.
En effet, selon la formule d’Hobbes « l’homme [étant] un loup pour
l’homme », les hommes se font naturellement la guerre pour la possession de ressources
puisque tous ont des besoins physiologiques équivalents et que celles-ci sont des biens
communs, donc que leur consommation par certains empêchent la consommation par d’autre.
De plus, l’homme vit dans la crainte constante que l’autre l’agresse, si bien qu’il finit par
agresser les autres par anticipation.
Une organisation politique et sociale permettrait alors
d’assurer la coexistence des individus grâce à des instances tierces aux conflits qui
régleraient les différends.
Une organisation économique permettrait, par la division du travail
et le développement de l’agriculture, de satisfaire les besoins de toute la population et de
transmettre des techniques.
Le vivre-ensemble dans une culture commune est donc la
condition nécessaire pour la survie du plus grand nombre, tel que Freud le décrit dans Le
Malaise de la Culture, écrit en 1929.
L’homme gagne ainsi à vivre-ensemble, et même à vivre
en société car il ne peut survivre, du moins confortablement, que par cette condition.
Toutefois, une organisation économique ne peut-elle pas provoquer davantage de différends
que ceux qu’elle annihile ? Par exemple, l’agriculture peut provoquer une opposition entre
ceux qui cultivent réellement la terre et ceux qui possèdent les terres, que l’on appelle les
propriétaires terriens.
Dès lors, si la culture et le vivre-ensemble permettent de garantir la
survie, ceux-ci créent d’autres situations conflictuelles.
Mais après tout, le conflit n’est-il pas
inhérent à la nature humaine tel que le disait Hobbes ? N’est-il pas positif que le vivreensemble et la culture conservent l’essence humaine tout en apportant des bénéfices ? Par
ailleurs, Hobbes propose également une solution dans son œuvre Léviathan publiée en 1651,
d’après lui un Etat puissant et autoritaire permettrait une paix durable en anéantissant les
conflits.
Les hommes délèguent, par ce qui est appelé un contrat social, leur pouvoir
individuel à une entité extérieure qui les représentent et les protègent.
Une forme de liberté
individuelle est abandonnée mais au profit d’une liberté collective de confort et de sécurité.
D’autres auteurs s’opposent à Hobbes dans la mise en place d’un Etat autoritaire, mais ont
également pensé la vie en collectivité comme étant la condition nécessaire à la mise en place
d’une réelle liberté, même sans Etat.
Ainsi pour le penseur anarchiste Bakounine, « Je ne suis
vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont
également libres.
La liberté d'autrui, loin d'être une limite ou la négation de ma liberté, en est
au contraire la condition nécessaire et la confirmation », tel qu’il l’écrit dans Dieu et l’Etat,
publié à titre posthume.
Nous gagnons à vivre-ensemble car cela nous apporte les ressources
nécessaires à notre survie mais aussi la liberté et la sécurité.
Dès lors, par extension si être
en sécurité, être libre et pouvoir vivre confortablement nous apportent le plaisir et la
satisfaction, peut-être que nous gagnons à vivre-ensemble car cela nous permet le bonheur.
Toutefois, le bonheur requiert aussi un accomplissement de soi, de trouver un sens à
son existence.
Cette tâche est aussi réalisée par le vivre-ensemble.
En effet, si les hommes
se sont mis à vivre-ensemble et à créer la culture ce n’est pas pour leur survie, c’est parce
que cela apporte de la valeur à leur vie.
Leur disposition naturelle au langage est en
puissance, mais la culture la fait se réaliser, la parole leur permet alors de partager des
pensées et de les faire évoluer ensemble.
Cela donne un sens à l’existence car les individus
peuvent s’épanouir, sortir de même pour se rechercher constamment, ils peuvent exister.
De
plus, la mise en commun des pensées par le logos, le langage et la Raison, permet de
s’enrichir en savoirs et en connaissances.
Si le sens de la vie est de comprendre sa place sur
Terre et de déceler les mystères du monde, alors le partage collectif permet d’atteindre les
compétences scientifiques et individuelles pour y accéder, et nous gagnons à vivre-ensemble.
Malgré cela, une question se pose, puisqu’il faut vivre-ensemble pour développer le langage,
comment peut-on vivre-ensemble si l’on ne possède pas de langage ? Tel le questionnement
sur l’origine de la culture par rapport au vivre-ensemble, lequel vient au principe ? C’est en
tout cas un problème que pose Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues.
Par
ailleurs, la création de techniques permet aussi d’exprimer artistiquement sa singularité et
son individualité et de recevoir des éloges qui nous satisfont.
La technique permet aussi de
développer des technologies pour améliorer le confort de vie, comme le feu qui a permis de
chauffer les aliments ou encore....
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