Discuter cette opinion de Jules Lemaître : « Si, parmi les hommes morts depuis deux siècles, vous cherchez celui qui, revenu parmi nous, aurait le moins l'air d'un étranger, celui qui nous comprendrait le plus vite », ce ne serait ni Pascal, ni Bossuet,
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Sujet assez difficile parce que le sens du jugement de Jules Lemaître n'est pas évident à première lecture. Il faut donc commencer par le bien comprendre. Jules Lemaître ne veut évidemment pas dire que Molière serait moins surpris que Pascal, Bossuet, etc., par le cinématographe, le téléphone ou les automobiles; ni même peut-être qu'il comprendrait beaucoup mieux notre Parlement. Il pense simplement qu'à travers les transformations de la civilisation, par-dessous les transformations des mœurs, si profondes qu'elles soient en apparence, il reste des passions, des travers humains qui ne changent pas. C'est Molière qui aurait le mieux compris ce fond permanent du caractère humain. Le sujet impose une comparaison; c'est par comparaison avec Pascal et les autres que Molière serait moderne, capable de comprendre plus vite l'homme moderne. Pour Pascal et pour Bossuet les raisons en sont évidentes. Tous les deux vivent dans une société qui, presque sans exception, est croyante.
«
Discuter cette opinion de Jules Lemaître : « Si, parmi les hommes morts depuis deux siècles, vous cherchez celui qui,
revenu parmi nous, aurait le moins l'air d'un étranger, celui qui nous comprendrait le plus vite », ce ne serait ni
Pascal, ni Bossuet, ni même Racine, ni même peut-être La Bruyère; « au bout du compte, c'est Molière; ce n'est
aucun mille que lui, n'en doutez pas ».
Sujet assez difficile parce que le sens du jugement de Jules Lemaître n'est pas évident à première lecture.
Il faut
donc commencer par le bien comprendre.
Jules Lemaître ne veut évidemment pas dire que Molière serait moins
surpris que Pascal, Bossuet, etc., par le cinématographe, le téléphone ou les automobiles; ni même peut-être qu'il
comprendrait beaucoup mieux notre Parlement.
Il pense simplement qu'à travers les transformations de la
civilisation, par-dessous les transformations des mœurs, si profondes qu'elles soient en apparence, il reste des
passions, des travers humains qui ne changent pas.
C'est Molière qui aurait le mieux compris ce fond permanent du
caractère humain.
Le sujet impose une comparaison; c'est par comparaison avec Pascal et les autres que Molière serait moderne,
capable de comprendre plus vite l'homme moderne.
Pour Pascal et pour Bossuet les raisons en sont évidentes.
Tous
les deux vivent dans une société qui, presque sans exception, est croyante.
Ils écrivent dans l'espoir de maintenir,
d'accroître cette foi, d'apprendre aux hommes à mépriser les biens de ce monde, à vivre pour Dieu.
Avec quelle
stupeur entreraient-ils dans une société où, même chez les croyants, les biens de ce monde tiennent tant de place,
où le progrès des commodités de la vie a rendu si indispensables ces commodités.
Racine aurait fort bien compris
tous nos drames de la vie privée, qui n'ont pas changé.
Mais Racine, et sur ce point Taine a raison, était aussi bien
un homme de cour, de goûts aristocratiques.
Quelle place pourraient avoir ces héros, ces héroïnes « de leur
blancheur vêtues » et qui passent « avec des gestes de statues » dans le tumulte affairé de la vie moderne, dans
une civilisation tout absorbée par les problèmes de la vie matérielle? Certes, La Bruyère est plus moderne; nous
verrons que par ses révoltes contre les abus sociaux, sa pitié pour leurs victimes, il se réjouirait sans doute de ce
qu'ont tenté les sociétés pour corriger ces abus; mais il était lui aussi très classique de culture, très homme d'étude
et de cabinet et ne comprendrait guère la place prise par les affaires, le commerce, l'industrie.
Opposons-leur Molière.
Il a d'abord été à l'affût des ridicules ; et ces ridicules n'ont pas changé.
Il y a toujours des
précieuses et des pédantes dédaigneuses des vulgarités du ménage et qui le sont seulement autrement.
Il y a
toujours des gens âgés qui prétendent se faire aimer par des jeunesses et qui sont bernés; toujours des hypocrites
qui font servir soit la piété, soit des apparences de vertu à duper des naïfs; toujours des misanthropes, des gens de
vertu trop intransigeante et capables d'aimer en même temps des coquettes sans scrupules ; toujours des
messieurs Jourdain, nouveaux riches, et toujours des malades imaginaires.
Sans doute ni Cathos, Madelon,
Philaminte, ni Harpagon, Tartuffe, Alceste, etc., ne seraient exactement aujourd'hui ce qu'ils étaient du temps de
Molière.
Le Monde où l'on s'ennuie de Pailleron n'est pas l'exacte copie des Femmes savantes; le Gendre de Monsieur
Poirier ne répète pas le Bourgeois gentilhomme; Grandet de Balzac n'est pas la réplique d'Harpagon.
Mais au fond les
différences sont minimes.
Avec quelle facilité Molière aurait-il retrouvé parmi nos gens d'affaires des Tartuffes, des
Harpagons, des Jourdains; parmi nos snobs, des Philamintes, des Bélises, des Orontes ; parmi nos « gens de lettres
», des Vadius ou des Trissotins? Et cela d'autant mieux que ses comédies atteignent ces profondeurs de caractère
qui font inévitablement des hommes ce qu'ils sont.
Dans une certaine mesure, Hermione, Phèdre, ne sont que des
accidents.
Que Pyrrhus n'ait pas ramené Andromaque à sa cour; que Thésée n'ait pas eu Hippolyte pour fils, et
Hermione, Phèdre pouvaient mener une vie paisible et honorée.
Mais, quels que fussent les hasards de leur vie,
Harpagon devait être avare, Alceste bourru, Célimène coquette, etc.
Vous pourrez compléter ces développements par une explication tirée d'une comparaison de Molière avec son temps.
Depuis Molière, la plupart des pièces de théâtre (ou des romans) se sont efforcés de peindre des caractères ou des
mœurs.
Mais avant Molière, autour de Molière, la comédie n'était qu'un divertissement où l'étude des caractères ne
tenait à peu près aucune place.
On imaginait une intrigue compliquée, souvent invraisemblable, où des personnages
conventionnels, superficiels, qu'on supposait amoureux, pressés d'argent, momentanément jaloux, ambitieux,
essayaient de se débrouiller parmi les hasards comiques, les ruses pittoresques, les grimaces et les maladresses.
Le
Menteur même de Corneille n'est qu'une pièce d'intrigue alerte et spirituelle.
Le génie de Molière, la partie la plus
haute de son génie est d'avoir fait de la comédie la peinture non pas des hasards de la vie, mais de ces raisons
profondes de la vie que sont les formes profondes du caractère.
Plan.
— I.
Pourquoi Pascal et Bossuet sont moins actuels, moins modernes que Molière; même étude pour Racine et
La Bruyère.
— II.
En quoi Molière est moderne.
— III.
C'est bien lui qui a révélé cette vérité de la comédie.
— Vous
pouvez diviser le § II, et notamment si vous ne donnez pas le § III.
(III.
Ce qui rattache les types de Molière à leur
temps, peu de choses.
— IV.
Leur actualité.).
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