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Différence entre l'homme passionné et l'homme volontaire ?

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« Introduction.

— Il est classique d'opposer la passion et la volonté.

La passion se définit couramment comme une inclination dominante et exclusive : le passionné se porte par une impulsion aveugle vers l'objet qui le captive, indifférent à ses autres intérêts et incapable de dominer son entraînement pour discuter sa conduite.

La volonté, au contraire, consiste essentiellement dans le pouvoir d e ne s e déterminer que par raison, aussi bien dans le choix des moyens que dans celui des fins. Mais cette opposition, claire dans l'abstrait, peut-on la constater concrètement et distinguer une conduite commandée par la passion de celle que dirige la volonté ? Y a-t-il, au point de vue psychologique, une différence entre l'homme passionné et le volontaire ? I.

— POURQUOI ON RISQUE DE CONFONDRE PASSION ET VOLONTÉ Nous devons le reconnaître, il y a de grandes ressemblances entre le passionné et le volontaire, en sorte qu'il n'est pas toujours facile, ni même peut-être possible, de les distinguer. a) En effet, la volonté aussi bien que la passion réalise une concentration de toutes les énergies en vue d'atteindre le résultat visé et de surmonter tous les obstacles.

Une existence encadrée par un puissant vouloir s e trouve unifiée comme celle qu'anime u n e passion violente ; on n'y remarque pas l'hésitation ni la dispersion et l'inconstance qu'on observe chez l'aboulique, l'indécis, le capricieux ou le fantasque comme chez l'apathique et l'indifférent qui ne sont fortement attachés à rien. b) Ensuite il n'y a pas de détermination volontaire sans l'entrée en jeu de ces tendances que nous trouvons à la racine de la passion.

En effet, la volonté n'est pas, comme le croit le vulgaire, un pouvoir absolu de création.

Pour le vouloir, il ne suffit pas de voir que le choix auquel on s e décide est raisonnable ; il est indispensable aussi d'être porté vers l'objet choisi ou tout au moins vers le caractère raisonnable du choix : comme le passionné, le volontaire a de grands désirs. Bien plus, par suite de la tension de tout l'être à les satisfaire, ces désirs se renforcent et s'élèvent parfois au niveau de la passion.

Cette transformation e s t m ê m e normale ; aussi a-t-on pu dire qu'on ne fait rien de grand s a n s u n e grande passion.

N'est-ce pas admettre équivalemment qu'un grand volontaire est un grand passionné ? c) Inversement : la raison, par laquelle on définit la volonté, ne manque pas chez le passionné.

Bien plus, il faut considérer la raison comme une « condition première de la passion » ('), sinon comment expliquer chez l'animal que les tendances ne s'élèvent jamais au degré passionnel ? Sauf, peut-être, en quelques moments exceptionnels de crise, le passionné ne se porte pas comme une brute vers l'objet convoité ; il réfléchit et calcule ; il se montre même souvent d'une pénétration d'esprit et d'une ingéniosité remarquables. Il y a plus.

La passion cherche à s e d o n n e r les apparences d'une volition résultant d e l ' e x a m e n d e motifs rationnels et même d'ordre moral. Il n'y a donc pas une ligne de démarcation bien nette entre la volonté et la passion : la première se dégrade souvent en prenant quelque chose de la seconde, et la seconde usurpe fréquemment les apparences de la première.

On comprend donc qu'on puisse les confondre. Mais la confusion est-elle inévitable ? II.

— PEUT-ON LES DISTINGUER ? Pour connaître les objets sur lesquels il a à s e prononcer, le psychologue dispose d e d e u x moyens : l'introspection et l'observation extérieure.

C'est pourquoi nous nous demanderons d'abord si nous pouvons discerner en nous d'une façon certaine la passion d e la volonté ; ensuite, si nous pouvons hors de nous distinguer l'homme passionné du volontaire. A.

En soi.

— Une première affirmation ne paraît pas discutable : celui qui agit par volonté sait bien qu'il ne se laisse pas mener par une passion.

Sans doute, ainsi que nous l'avons dit, il éprouve des attraits et des répulsions, mais il les domine.

De plus, il admet facilement le danger qu'il court de céder à l'entraînement ; aussi lui est-il possible de remettre en question une décision prise ; du moins se sent-il prêt à renoncer à s e s projets, dans le cas, qu'il ne considère p a s c o m m e chimérique, où il s'en présenterait d e plus sages.

C'est précisément dans la mesure où il refuse toute discussion et devient incapable de considérer une autre éventualité que celle à laquelle il s'est arrêté qu'il passe sous l'emprise de la passion. Mais il ne se rend pas compte de ce changement, car le passionné ne peut guère reconnaître son esclavage.' Parfois même, il verra dans son comportement des signes d'une puissante volonté. Aux moments de crise, en effet, la tension de tout l'être vers la conquête de l'objet convoité présente beaucoup de ressemblance avec la coordination des énergies que réalise la volonté.

Sans doute, une comparaison impartiale et approfondie aurait vite décelé des différences essentielles entre les deux états ; mais le passionné est incapable de l'abstraction sans laquelle il n'est pas de jugement possible ; son esprit, rivé à l'objet qui l'hypnotise, ne peut pas s'en détacher et prendre le recul nécessaire à une comparaison. Aux m o m e n t s d e relâche, quand l'obsession se fait moins rigoureuse, le passionné peut bien avoir un certain sentiment de l'état par lequel il vient de passer ; mais, à moins d'être habitué à l'introspection et à l'analyse intérieure, il ne se reconnaîtra pas esclave de la passion : de ses folies d'hier la mémoire ne lui conservera qu'un souvenir estompé et son imagination lui représentera un lendemain de possession paisible ; il se croira sur le point de parvenir à l'équilibre. C e n'est guère qu'à la lumière des jugements portés sur lui par ceux qui l'observent q u e le passionné arrive à reconnaître son état. Parfois, en effet, il est acculé à un aveu de ce genre : « Je vois bien que je commets une sottise, et cependant on ne m'empêchera pas d e la commettre : c'est plus fort que moi ».

Mais cet aveu n'est guère la conclusion d'un monologue solitaire.

Il est l'aboutissant de longues discussions avec quelqu'un qui essaie de ramener à la saine raison celui que la passion égare. B.

Chez les autres.

— On peut, en effet, discuter la question de savoir s'il est plus facile de connaître les autres que soi-même ; mais, dans le cas présent, la réponse semble bien indiscutable : il est plus facile aux autres qu'à n o u s - m ê m e s de savoir si nous s o m m e s passionnés ou non. Sans doute, pour une action particulière et isolée la distinction est difficile : comment savoir, de l'extérieur, la nature du ressort qui la commande ? Le chef qui veut vaincre une résistance, l'orateur qui veut soulever l'enthousiasme de son auditoire adoptent d'instinct des comportements de passionné, tout comme le passionné affecte ceux de l'homme raisonnable. Mais ce jeu ne saurait s e prolonger.

Aussi, pour l'ensemble d e la conduite, il est facile d e distinguer celui qui agit par passion du volontaire.

Le passionné subit la tension qui fait sa force contre les obstacles ; aussi n'en est-il pas le maître : elle provoque des explosions intempestives et il est bien rare qu'elle aboutisse à des actions parfaitement mesurées et opportunes.

Au contraire, quand les décisions sont l'oeuvre de la volonté, la conduite s'adapte avec souplesse aux circonstances ; l'énergie qui porte à l'action conserve la maîtrise d'elle-même et ne s'applique que là où s'ouvre une voie vers le but visé. Aussi, pour savoir si nos décisions sont vraiment volontaires et non inspirées par une passion inconsciente, ne nous fions pas trop à l'introspection.

Tachons plutôt de savoir ce que pensent de nous ceux qui nous connaissent le mieux pour être les témoins habituels de nos actions. Conclusions.

— Voilà donc rétablie la barrière classique qui se dresse entre la passion et la volonté.

Ii ne faudrait pas cependant croire qu'elle sépare deux domaines complètement étrangers : qui parviendrait à supprimer toute passion deviendrait aboulique ; le passionné chez qui se détendrait la force du vouloir tomberait au niveau du rêveur sentimental.

Le volontaire n'est qu'un passionné qui maîtrise sa passion ; le passionné, un volontaire dont la volonté a été réduite en esclavage.. »

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