Devoir d’entraînement : Explication de ce texte de Nietzsche Par-delà le bien et le mal, "Les préjugés des philosophes", § 6.
Publié le 06/09/2023
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4L3PH04D Lire et argumenter : méthodo du travail philosophique III – EAD
Devoir d’entraînement : Explication de ce texte de Nietzsche Par-delà le bien et le mal, "Les
préjugés des philosophes", § 6.
Introduction : Présentation de l’auteur : Nietzsche comme penseur du nihilisme actif
L’extrait est issu de l’œuvre Par-delà le bien et le mal du philosophe allemand Friedrich Nietzsche
(1844-1900).
Cet auteur est avant tout connu pour la défense de ce qu’il nomme un nihilisme actif
s’opposant à un supposé nihilisme passif de la tradition philosophique, religieuse et morale
occidentale.
Ce nihilisme actif consiste en la destruction méthodique et argumentée du nihilisme passif
des valeurs traditionnelles occidentales motivées secrètement par la faiblesse et le ressentiment.
Là
où la faiblesse et le ressentiment mènent à la négation de l’individu et à l’inaction au profit de la
morale, qui est morale d’esclave (nihilisme passif), Nietzsche prône la destruction de la morale
collective au profit de l’action de l’individu poussé par l’épanouissement de son instinct individuel
(nihilisme actif).
Cet extrait de Par-delà le bien et le mal, qui traite du sujet de l’objectivité en philosophie et en science
montre un Nietzsche fidèle à la description que nous venons d’en faire dans les positions qu’il défend
sur ce sujet.
Dans une première partie nous expliciterons le contenu du texte en définissant les
principales thèses qu’il défend et qui se rapportent à la thèse principale que la philosophie est une
discipline subjective qui s’opposerait à une science objective et dans une seconde partie nous nous
demanderons si Nietzsche a raison d’affirmer que la philosophie ne nous apporte aucune connaissance
objective du monde.
Partie 1 : Explication de texte : Philosophie subjective contre science objective
Nietzsche commence par poser dans ce texte la question de l’inspiration de la philosophie, du principe
à son origine.
La première réponse apportée est que la philosophie est d’abord une philosophie puisant
dans la vie et les penchants de son auteur.
La philosophie est d’abord vue comme philosophie
subjective d’un auteur révélant malgré lui son intimité et ses préférences personnelles.
Ce « malgré
lui » est rendu par l’expression « (qu’il l’ait ou non voulu ou remarqué) » qui signifie que les principes
dirigeant la philosophie d’un auteur sont aussi partiellement inconscients.
La philosophie d’un auteur
résumerait avant tout l’auteur lui-même, consciemment ou inconsciemment.
C’est en ces sens que
Nietzsche dit que « toute grande philosophie » est « la confession de son auteur » et constitue « ses
Mémoires ».
L’auteur trahit toujours quelque chose de lui-même derrière sa philosophie.
Nietzsche voit donc « les intentions morales (ou immorales) » de l’auteur comme l’origine de toute
philosophie.
Cette thèse fournit deux enseignements : premièrement la philosophie d’un auteur est
partiale et deuxièmement elle peut être immorale.
Comme l’indique le titre de l’œuvre dont ce texte
est issu (Par-delà le bien et le mal), Nietzsche professe une philosophie dépassant les concepts de bien
et de mal, ne raisonnant qu’en termes de penchants, de désir et de réponses bonnes ou mauvaises
pour l’épanouissement de ces désirs, comme Spinoza l’a fait avant lui.
En effet, le bien et le mal sont des concepts objectifs.
Nietzsche refuse ces concepts en ce qu’il leur
dénie une objectivité et pense que la philosophie traduit les penchants d’un auteur et non une morale
objective.
La morale ne peut alors être qu’objectivisation des penchants d’un auteur.
Nietzsche critique
la prétention de Kant à ériger la maxime commandant nos actions en maxime universelle.
Le caractère
personnel et subjectif de notre code de conduite doit être préservé car chaque penchant doit avoir
son code de conduite et ne pas se le voir imposer par les autres.
Autrement, nos penchants instinctifs,
qui dirigent nos actions et notre vie s’éteignent ou sont refoulés et certaines natures et instincts exclus
de facto de la société alors qu’ils la constituent.
Nous ne sommes pas tous constitués de la même façon
et avons tous notre place où nous exprimer librement dans la société.
Nier le caractère objectif de la morale pourtant constitutif de sa définition (une morale est collective
et objective et doit s’appliquer à tous) revient à nier la morale elle-même et à décréter son artificialité.
Il ne s’agirait donc pas de justifier objectivement une morale, mais de chercher les penchants qui ont
commandé à son élaboration, de débusquer une imposture.
Cela revient à faire une Généalogie de la
morale, titre d’une œuvre fameuse de Nietzsche ou ce dernier s’emploie à chercher les penchants
ayant commandé à l’élaboration des valeurs occidentales afin de les désacraliser.
Dans une approche
proche de la psychanalyse et de Freud (qui est contemporain du philosophe allemand), Nietzsche voit
dans le ressentiment quelque chose de comparable à la pulsion freudienne (Trieb) d’origine dont la
morale occidentale sera la sublimation.
Nous avions déjà évoqué, à propos des premières lignes du
texte, le fait que les principes directeurs de la philosophie d’un auteur pouvaient être partiellement
inconscients, ce qui rejoint également la théorie de Freud sur l’existence de l’inconscient.
Nietzsche
semble rejoindre Freud et sur l’existence de l’inconscient et sur l’origine pulsionnelle des institutions
collectives et des structures symboliques.
La volonté consciente ou inconsciente d’individus et de
minorités seraient ce qui se cache derrière des institutions prétendument collectives, altruistes et
transcendantes.
Nietzsche nie donc la prétention de la philosophie à atteindre un savoir objectif et impersonnel.
Selon
lui, même la métaphysique, discipline impersonnelle et cosmique entre toutes, n’échappe pas à cette
loi voulant qu’une philosophie soit avant tout le reflet des penchants de son auteur : « De fait, si l’on
veut s’expliquer comment sont nées en réalité les affirmations métaphysiques de tel ou tel philosophe,
il est bon et sage de se demander […] A quelle morale doivent-elles (ou veut-il) aboutir ? ».
Même dans
cette branche, qui est encore une fois la plus impersonnelle de la philosophie, la plus cosmique,
l’auteur ne ferait que projeter ses propres penchants sur l’ordre cosmique.
Chez Aristote et
classiquement, jusqu’à la métaphysique existentialiste, la métaphysique était tenue pour une
discipline objective et quasi-scientifique.
En effet, Aristote définit les sciences comme la recherche des
principes et la métaphysique comme la recherche des principes premiers.
La morale de l’auteur serait à l’origine de sa philosophie, mais sa morale étant purement personnelle,
sa philosophie ne peut prétendre à aucune espèce d’universalité.
Dans la phrase sur les affirmations
métaphysiques : « A quelle morale doivent-elles (ou veut-il) aboutir ? », le « doivent-elles » équivaut
au « veut-il », ce qui signifie que la morale dépend exclusivement de la volonté de l’auteur.
N’existerait-il alors selon Nietzsche aucune connaissance objective du monde ? Tout du moins refuset-il d’accorder la paternité de cette connaissance à la philosophie : « Je ne crois donc pas à l’existence
d’un « instinct de la connaissance » qui serait le père de la philosophie ».
Nietzsche explique dans les
lignes qui suivent qu’en ce qui concerne la philosophie, il croit à la primauté de l’instinct sur la
connaissance.
Il n’y a pas d’instinct de la connaissance en philosophie puisqu’en philosophie c’est
l’instinct qui se sert de la connaissance et non l’inverse.
Traduisons : Chaque thèse philosophique serait
l’expression, la traduction d’un instinct cherchant à dominer sur les autres instincts, la retranscription
d’une hiérarchie des instincts.
Nietzsche affirme même que la philosophie peut être dirigée par une
méconnaissance, idée qui rejoint ce qu’il a dit et que nous avons examiné plus haut concernant la
possible origine inconsciente de la philosophie : « […] je crois plutôt qu’un autre instinct, ici comme
ailleurs, s’est servi de la connaissance (ou de la méconnaissance) comme d’un instrument.
»
Nietzsche ne donne pas ici d’exemple.
On pourrait par exemple voir dans l’impératif philosophique et
éthique judéo-chrétien : Tu ne tueras point la traduction d’une crainte de certains hommes d’être tués
par plus fort qu’eux.
Ce ne serait alors pas un principe supérieur et éthique qui aboutirait à ce
commandement mais un trivial instinct de survie devant résoudre un rapport de force inégal.
L’origine
du commandement ne serait alors pas collective, ne partirait pas de la considération de l’autre mais
bien de la considération de ses propres instincts personnels, de sa propre survie.
Cet exemple et la
démarche de Nietzsche rappellent l’argumentation de Calliclès dans le Gorgias de Platon : la morale
est une invention des faibles pour renverser l’ordre de la nature où les plus forts règnent.
La preuve de la thèse de Nietzsche sur les différentes philosophies comme transcriptions pures et
simples des différents instincts primordiaux de l’homme selon la préférence de chacun se trouverait
dans les textes philosophiques eux-mêmes : « Mais si l’on examine les instincts primordiaux de
l’homme en recherchant jusqu’à quel point ils ont pu, même dans ce cas, se divertir à jouer un rôle de
génies inspirateurs (ou de démons), on trouvera que tous ont déjà philosophé un jour ou l’autre […].
»
Un instinct s’érige en « fin dernière de l’existence », en « seigneur....
»
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