Devient-on artiste en imitant les autres artistes ? (ou Le génie de l'artiste exclut-il tout apprentissage ?)
Extrait du document
«
Problématique
• C e sujet met bien en évidence la double définition grecque de l'art : technê, c'est-à-dire à la fois savoir-faire (praxis) et création (poïésis ).
La praxis
touche l'utile, la poïésis est au contraire désintéressée.
L'artiste n'est-il qu'un habile artisan ? L'art est-il réductible à la technique ?
• Pour devenir artis te, il faut apprendre nous suggère l'énoncé.
M ais l'apprentissage des règles, la prouesse technique, s uffisent-ils à faire de nous des
artistes ?
1.
L'artiste commence par imiter, par utiliser habilement des procédés
Les grands artistes ont presque toujours fait preuve :
a) d'un travail acharné — parfois pressés par des commandes qui leur permettaient de subsister, sinon contraints par un puissant (cf.
M ichel-A nge, retenu à
Rome par le pape Jules II et peignant le plafond de la chapelle Sixtine, 1609/1611);
b) d'un intérêt pour les œuvres de leurs prédécesseurs (les jeunes peintres s'exercent à reproduire les tableaux des grands maîtres) avant de se forger un
style.
C 'est en ce sens qu'il faut comprendre la formule de Malraux : « De même qu'un musicien aime la musique et non les rossignols , un poète des vers et
non des couchers de soleil, un peintre n'est pas d'abord un homme qui aime les figures et les paysages.
C 'est un homme qui aime les tableaux » (Les V oix
du silence);
c) d'un acharnement à acquérir non seulement une culture artistique mais aussi la maîtrise d'un ensemble de techniques (ex.
: la gravure a burin ne pose
pas les mêmes problèmes que l'eau-forte, etc.).
Le pianiste apprend le solfège, fait des gammes .
Le peintre copie les grands maîtres.
A uguste Renoir dira: « La peinture s'apprend dans les musées.
» O n
apprend quelques règles tec hniques avant de dessiner, de peindre, de sculpter, d'écrire, de réaliser un film, une photo.
P ensons aux grands ateliers de la
peinture italienne, flamande, française, aux écoles de théâtre ou de cinéma.
Être artiste ne s'improvise pas.
• M ais suffit-il de connaître parfaitement le solfège et la technique pianis tique pour être virtuose ? Sait-on composer un poème parce qu'on maîtrise
parfaitement la grammaire, le vocabulaire ? Mozart est-il réductible à sa technique mus icale ?
• Les règles sont peut-être nécessaires mais l'artiste génial est justement c elui qui va les faire éclater, les dépas ser, les transcender pour en inventer de
nouvelles .
II.
Le véritable artiste est celui qui échappe aux règles établies de l'art
Kant définit les beaux-arts c omme les arts du génie, et le génie c omme « la disposition innée de l'esprit par laquelle la
nature donne ses règles à l'art ».
Il se caractéris e par :
1) l'originalité : « le génie e s t l e talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée, ce n'est pas
l'aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quelconque » ;
2) l'exemplarité : « ses productions doivent en même temps être des modèles » et pouvoir « être proposées à l'imitation
des autres » ;
3) l'incapacité à « indiquer s cientifiquement comment il réalise son oeuvre ».
Et cependant « il donne, en tant que nature,
la règle.
D onc l'auteur d'une oeuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idées et il ne dépend
pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les c ommuniquer à d'autres dans des pres criptions qui les
mettraient à même de produire de semblables ouvrages ».
A insi le génie est un don qui n'imite pas et qui ne peut se ramener à un ens emble de procédés, à un savoir.
Le génie est
inné.
On ne devient pas un génie.
O n naît ainsi.
C 'est parfois l'apprentissage qui nous révèle ce talent.
Le génie fait école
mais n'es t d'aucune école.
III.
Mais l'artiste génial échappe à toute définition
• O n peut critiquer la thès e kantienne du génie.
Par exemple, une oeuvre s e définit-elle nécessairement par son
exemplarité, son originalité ? L'art grec est un art académique qui refuse l'originalité.
P ourtant, le sculpteur Praxitèle nous
laissa des statues admirables.
• L e s grands artistes furent et sont des travailleurs acharnés , acharnés a u s s i à connaître l e s oeuvres de leurs
prédécess eurs et à se forger à la fois une culture artistique et la maîtrise de certaines techniques.
• L'artiste véritable semble ainsi échapper à toute tentative d e définition.
Si on peut expliquer, par l'analyse, les
conditions d'apparition d'une oeuvre, on ne peut rien dire quant au don artistique qui éc happe à toute interprétation, rappelait Freud.
L'oeuvre d'art joue en nous des scènes que nous ne savons voir ni comprendre ; elle nous émeut d'autant plus que nous ne comprenons pas pourquoi.
Les processus qu'elle met en oeuvre sont incons cients : l'oeuvre d'art a préc isément pour effet de solliciter l'incons cient.
L'oeuvre est comme le jeu des enfants, création d'un monde imagi naire satisfaisant mieux que le monde réel les exigences du principe de plaisir.
C omme l'enfant, l'artiste prend son jeu très au sérieux, s 'y investissant tout entier.
Il s'agit donc, pour la psychanalyse, de comprendre l'oeuvre d'art à la
lumière de l'état d'esprit de l'artiste en création.
L'effet de l'oeuvre est de reproduire l' émotion c réatrice de l'artiste dans l'âme de cel ui qui contemple sa réalisation.
P roduisant ains i une véri table
communication des inconscients, l'art a le pouvoir de créer des archétypes de l'affectivité humaine, à l'image des V ierges de Raphaël, ou du Hamlet de
Shakespeare.
L'interprétation de l'oeuvre par le psychanalyste n'y trouve rien que l'artiste n'y ait m is : ce que le prem ier observe de l'extérieur, à la lumière de son
expérience des névroses et des phénomènes de l'incons cient, le s econd l'exprime, souvent sans le formuler ni le savoir explicitement, par un formidable
pouvoir de concentration sur ce que l'âme humaine recèle de plus profond.
À la « satisfaction imaginaire de désirs inconsc ients » que procure l'art s'ajoute une « prime de séduction », constituée par la perception du beau.
Le
beau ne s e réduit pas, pour Freud, à une explication psychanalytique par l'inc onscient : c'est un phénomène autonome, à part, sur lequel la psychanalyse n'a
rien à dire.
L'activité artistique est un m oyen de déviation et de satisfaction de pulsions refoulées, qui sont souvent d'une rare violenc e chez l'artiste.
P ourtant, la
névrose n'entraîne pas automatiquement le talent artistique, puisque de nombreux névrosés ne le possèdent pas : il est donc une marge de liberté, que la
psychanalyse est impuissante à réduire.
L'art dans sa nature reste hors de la portée de la psychanalyse.
CONCLUSION
O n ne devient donc pas artiste parce qu'on maîtrise parfaitement une technique — le faussaire, par exemple, n'est pas un artiste, son oeuvre n'est pas
géniale car non novatrice.
C ertains grands artis tes ne maîtrisaient même aucune technique, ou plutôt n'avaient pas appris, rigoureusement, tels V an Gogh,
Gauguin qui n'ont pas fait une école de peinture avant de devenir de grands artistes .
Le propre du génie est donc d'échapper à toute étiquette, à toute
norme.
L'artiste aspire à autre chose, à l'invisible..
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