Devant la multitude des ouvrages qui vulgarisent la science et en font un objet de rêveries romanesques, certains penseurs regrettent le temps où elle n'était accessible qu'à un petit nombre de savants et de gens informés. Que pensez-vous de cette attitu
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Depuis quelques décades, on observe une augmentation régulière du nombre des livres consacrés à la science, des articles de revues, de magazines ou de journaux, des chroniques radiophoniques, des documentaires cinématographiques qui vantent ou expliquent une invention, une découverte. Sans doute le grand public exige-t-il cette vulgarisation devenue une véritable industrie. Au lieu de se porter vers les romans de chevalerie, comme au début du siècle dernier, ou les « romans noirs » qui firent le succès d'Anne Radclifîe et multiplièrent, dans les imaginations, souterrains, cachots et fantômes, — la curiosité se porte vers la mécanique, la physique, vers la « machine » et le « labo' »; le merveilleux poétique a perdu de son attrait, laissant la première place au merveilleux scientifique et technique. Mais tiendrons-nous pour louable ou pour regrettable cette mise à la disposition du « vulgaire » d'un nombre considérable de connaissances insuffisamment exposées, cette information tapageuse qui semble avoir pour but d'ébranler la sensibilité plutôt que de nourrir la mémoire, développer la raison et faire des hommes capables d'affronter sans gêne tous les problèmes à venir?
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Devant la multitude des ouvrages qui vulgarisent la science et en font un objet de rêveries romanesques, certains
penseurs regrettent le temps où elle n'était accessible qu'à un petit nombre de savants et de gens informés.
Que
pensez-vous de cette attitude ?
Introduction.
Depuis quelques décades, on observe une augmentation régulière du nombre des livres consacrés à la
science, des articles de revues, de magazines ou de journaux, des chroniques radiophoniques, des documentaires
cinématographiques qui vantent ou expliquent une invention, une découverte.
Sans doute le grand public exige-t-il
cette vulgarisation devenue une véritable industrie.
Au lieu de se porter vers les romans de chevalerie, comme au
début du siècle dernier, ou les « romans noirs » qui firent le succès d'Anne Radcliffe et multiplièrent, dans les
imaginations, souterrains, cachots et fantômes, — la curiosité se porte vers la mécanique, la physique, vers la «
machine » et le « labo »; le merveilleux poétique a perdu de son attrait, laissant la première place au merveilleux
scientifique et technique.
Mais tiendrons-nous pour louable ou pour regrettable cette mise à la disposition du «
vulgaire » d'un nombre considérable de connaissances insuffisamment exposées, cette information tapageuse qui
semble avoir pour but d'ébranler la sensibilité plutôt que de nourrir la mémoire, développer la raison et faire des
hommes capables d'affronter sans gêne tous les problèmes à venir?
Historique de la question.
Durant des millénaires, science et technique ne furent probablement pas séparées l'une
de l'autre.
Tous les travailleurs disposaient des connaissances nécessaires pour vivre de la vie du chasseur aux
temps primitifs et, plus tard, de la vie pastorale ou agricole.
En cette troisième phase de la civilisation, Booz savait,
comme tout le monde, calmer l' « enfer dans le feu de sa forge », éviter la fange « dans l'eau de son moulin » ou
battre le blé sur son aire.
Point de botanistes ni d'ingénieurs agronomes parmi les fellahs qui, chaque année après la
crue, édifiaient en semant le grain la richesse de l'Egypte.
Les bâtisseurs des Pyramides, du Sphinx ou des
obélisques ne se séparaient point en géomètres et en maîtres d'œuvre; pas plus que les constructeurs du Parthénon
et des temples plantés sur les acropoles grecs.
Il est probable cependant que, parmi la multitude des travailleurs agricoles ou industriels, une sélection dut se faire,
comme déjà il s'en était fait une au point de vue social quand s'étaient détachés le chef et le sorcier ou chaman : le
pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.
L'architecte qui dirigea la construction de la pyramide de Khéops savait
certainement plus de mathématiques que l'esclave attelé à l'énorme pierre posée sur des rouleaux de bois; Phidias
savait plus de géométrie que le carrier qui lui préparait des blocs de marbre en suivant une routine bien établie; les
maîtres d'œuvre qui lancèrent vers Dieu les flèches ajourées de nos cathédrales avaient plus de connaissances
scientifiques que leurs goujats.
Une séparation s'était faite naturellement, le travail surtout musculaire, donc le plus
naturel, le plus facile, devenant le lot des hommes les moins considérés; le travail surtout intellectuel devenant
l'apanage d'une élite, — encore que cette élite travailleuse ne se confondît pas avec la véritable, celle des oisifs,
patriciens ou nobles : le constructeur de pyramides était tenu pour un serviteur par le Pharaon; le maître d'œuvre
n'était qu'un roturier pour le moindre seigneur de village qui l'avait invité à dresser une église ou une chapelle dans
son ban.
Mais, pour s'être faite à l'intérieur d'une même classe, la plus déshéritée, la sélection n'en avait pas moins
d'importance, et le temps creusa de plus en plus profondément le fossé entre les « chercheurs » et les praticiens.
Sans doute, Archimède travailla-t-il de ses mains à la construction des machines qui défendirent Syracuse2, et il
n'eut pas conscience de se déshonorer pour cela; cependant, il ne pouvait communiquer sa science de la mécanique
à des ouvriers qui n'avaient pas, comme lui, réfléchi sur les causes et les conséquences de la masse et du
mouvement.
Si proches fussent-ils des autres travailleurs par leurs origines sociales, les « savants » constituèrent
une caste, souvent jalouse de son savoir et portée à mépriser ceux qui ne pouvaient la partager : caste des
chamans, dans les tribus primitives; caste des prêtres égyptiens auprès de qui se renseigna Hérodote; caste des
élèves de Socrate, caste des péripatéticiens; caste des alchimistes...
A certaines époques de l'histoire, l'avidité de connaissance devint telle qu'elle parut remettre en question ce partage
: durant la Renaissance, par exemple, puis durant le Siècle des Lumières.
Mais le fossé était déjà trop profond
autour du temple du Savoir.
Seuls, les gens aisés pouvaient recevoir l'enseignement diffusé par les Universités au
temps de François Ier; le laboureur et le manouvrier en étaient écartés.
Au XVIIIe siècle, les seuls gens riches et
oisifs pouvaient installer chez eux un « cabinet » de physique ou d'histoire naturelle.
D'autre part — Pascal l'avait
montré dans une page célèbre sur l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse — la science mathématique n'était déjà
plus permise à n'importe quel homme intelligent dessinant des figures sur le sable à l'aide d'un bâton4.
A cause de sa
technicité, elle exigeait un effort d'initiation, un apprentissage très spécial.
A mesure que théorèmes et corollaires
se multipliaient, devenaient plus subtils, la différence entre l'initié et le profane s'accroissait.
En répandant l'idée
démocratique et en commençant de la réaliser, la Révolution estompa quelque peu cette différence.
Au XIXe siècle,
on institua l'enseignement primaire pour tous et, jusqu'à nos jours, la durée des études obligatoires n'a cessé
d'augmenter; l'enseignement secondaire est devenu gratuit; on a institué des bourses, des prêts d'honneur pour
permettre aux pauvres intelligents d'accéder à l'enseignement supérieur...
A-t-on, pour cela, mis la science à la
portée de tous? Elle s'est développée avec une telle rapidité, s'est subdivisée en tant de branches réservées à des
spécialistes, qu'elle est devenue inaccessible au commun des mortels.
Les plus « honnêtes » gens durent en
convenir quand Einstein eut fait connaître ses formules dont, seuls au monde, quelques douzaines de
mathématiciens purent tirer parti.
Ainsi, la nécessité est apparue de jeter un pont par-dessus le fossé devenu abîme.
Elle apparut d'abord à Auguste
Comte, quand il prétendit assigner aux philosophes la tâche de réduire en idées générales les inventions et les
découvertes des savants.
Elle apparut à Jules Verne quand il conçut ses romans d'anticipation pour initier ses
lecteurs à la navigation aérienne ou sous-marine et sema la graine de la « science Action » qui hélas s'épanouit
aujourd'hui.
Elle apparaît très nettement aux nombreux éditeurs qui, répondant aux exigences de la jeunesse,
multiplient les œuvres de vulgarisation.
Mais rendent-ils service à l'homme ou le desservent-ils? Voilà ce qu'il nous.
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