Désobéir peut-il être un devoir ?
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Introduction
Dès l'enfance, le devoir paraît impliquer l'obéissance : il se manifeste d'abord sous l'aspect d'ordres à respecter («Tu
dois être poli avec les gens», etc.).
Peut-on concevoir que l'attitude contraire, la désobéissance, puisse
ultérieurement apparaître comme un devoir?
N.B.
La rédaction d'une copie de philosophie implique une réflexion organisée autour d'analyses conceptuelles.
C'est
dire que, pour un tel sujet, les situations et différents cas évoqués doivent être utilisés comme de simples exemples,
mais non comme un catalogue se substituant à l'analyse.
1.
Analyse du devoir
— Le terme n'a de sens plein que dans le cadre de la morale.
Mieux vaut donc s'inspirer de la conception la plus
rigoureuse qui en a été philosophiquement proposée: Kant.
— Souligner que la conscience du devoir, comme ce que le sujet a à faire obligatoirement, sous-entend la
compréhension de la loi morale (par définition universelle).
Donc la maturité de la raison capable de découvrir cette
dernière.
Ainsi, la question posée n'a guère de sens par rapport à l'enfant, sauf si — cas rare — l'obéissance que l'on
exige de lui vient contredire un devoir qu'il peut déjà comprendre (si un de ses parents lui ordonne d'agresser l'autre,
ou d'avoir un comportement en contradiction avec ce qu'il connaît de la morale).
— Dans cette optique d'origine kantienne, le devoir à travers lequel transparaît la réalité de la loi implique bien
l'obéissance.
— La question se justifie simplement dans la mesure où les lois auxquelles un sujet peut être appelé à obéir sont en
contradiction avec la morale.
II.
Devoir, loi, liberté
— L'obéissance à la loi morale est toujours un choix (faute de quoi, si elle était purement mécanique, elle n'aurait
aucune signification morale).
Elle suppose donc la présence, dans le sujet, d'un principe de liberté lui offrant l'égale
possibilité de désobéir.
— Mais désobéir à la loi morale ne constitue qu'un usage «pervers» de la liberté.
Je peux en connaître la tentation
(ne serait-ce que pour précisément prouver que je suis libre), cette dernière ne saurait constituer un devoir,
puisqu'elle n'est pas universalisable sans contradiction.
— Pour que la désobéissance puisse apparaître comme un devoir authentique, il faut que l'obéissance à laquelle on
me convie ne renvoie qu'à une «loi non universelle», locale, qui, comme telle, concerne, non pas l'humanité dans son
ensemble, mais des intérêts particuliers (à un individu, un groupe, un État éventuellement).
— Le sujet peut alors être confronté à un ordre qui, représentant un intérêt local, ne sera pas en lui-même
universalisable et contredit en fait la loi morale (universelle), donc la notion même de devoir.
C'est dans ce cas, si
l'on s'en tient d'abord à un schéma très général, que la désobéissance devient un authentique devoir.
III.
Les conflits de «devoirs»
— Si Antigone, de Sophocle à nos jours, apparaît comme l'archétype d'une désobéissance positive, c'est
précisément parce qu'elle choisit d'obéir à des lois « non écrites», au-delà de toute société particulière, plutôt
qu'aux lois variables qu'instaure le pouvoir.
Contre ce que paraît exiger le droit «positif», il peut donc être nécessaire
de choisir la défense d'un droit « naturel » — au sens où il est plus fondamental, où il représente des valeurs plus
essentielles, que tout ce que peut énoncer la loi positive.
— Mais on constate du même coup que si l'on désobéit aux lois «locales», c'est pour mieux obéir à des lois
universelles.
Le devoir de désobéissance n'est que l'envers d'un autre devoir, d'obéissance, à des principes plus
généraux et représentant mieux les valeurs de l'humanité dans son ensemble.
— C'est bien ainsi que se légitime la désobéissance civile (cf.
Thoreau) ou l'objection de conscience: celle-ci n'a de
sens que si elle choisit la désobéissance au devoir militaire du citoyen par respect pour un devoir plus «haut».
— Ce qui n'empêche pas les conflits de devoirs de prendre des aspects plus dramatiques — en cas de conflit entre
États notamment.
Alors que tout État ordonne à ses citoyens de se battre pour lui, faut-il lui obéir par principe, ou
au contraire, par principe également, lui désobéir (en affirmant que les devoirs à l'égard de l'humanité l'emportent sur
ceux à l'égard de l'État)? On sait que la guerre suppose par définition une suspension de la morale, mais faut-il faire
la guerre pour n'importe quel État? (par exemple l'État nazi — par définition non moral puisque prônant le génocide:
ne resterait que la « trahison», ou l'exil et la propagande de l'extérieur, à la façon d'un Thomas Mann).
— Sur le plan politique, on en vient à admettre que la désobéissance à tout pouvoir qui restreint systématiquement
la liberté de ses citoyens est un devoir, puisqu'il ne respecte pas le but essentiel du contrat social de Rousseau:
une liberté égale pour tous, fondée par la loi.
Conclusion
Incontestablement, désobéir peut être un devoir.
Et dans la mesure où l'opposition est souvent très marquée entre
morale et politique, on peut se demander si la désobéissance ne constitue pas, dans l'histoire moderne, un devoir de
plus en plus fréquent.
Reste que, solitaire, elle n'a guère de chance de réussite; le devoir de désobéissance,
individuel lorsqu'il va de la morale, doit devenir collectif lorsqu'il se transforme en devoir politique..
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